CHRISTIAN GOLLIER, directeur général de la Toulouse School of Economics (TSE)

15 juin 2020  | Par Guillaume BIETRY
L'actuariel // économies // CHRISTIAN GOLLIER, directeur général de la Toulouse School of Economics (TSE)

Spécialiste des domaines de l’incertain et de l’environnement, l’économiste Christian Gollier analyse l’impact de la crise sanitaire sur l’économie. Il appelle à un débat sur l’équilibre du budget public sur le long terme et à une plus grande implication des risk managers.

Dans une tribune sur le site de la Toulouse School of Economics, vous évoquez les impacts majeurs qu’aura la pandémie de Covid-19 sur l’économie. Vous avancez notamment le concept d’« État assureur en dernier ressort ». De quoi s’agit-il ?

Christian GOLLIER : Imaginez une société sans État, où des événements font que, soudainement, 50 % de la population perd toute capacité à créer des revenus pendant trois mois. Et tout cela est tiré au sort. Dans ce monde où le tirage au sort se fait de façon totalement aléatoire, l’injustice est totale. Il n’y a ni coupable, ni responsable. Et pourtant, des gens vont souffrir voire mourir. Dans notre société, nous avons la chance d’avoir un État qui pourrait partager les risques, organiser la solidarité et faire en sorte que la moitié de la population ne perde pas 100 % de ses revenus, mais que 100 % de la population perde 50 % de ses revenus. Sans même savoir si vous allez faire partie des chanceux ou des malchanceux, vous voudriez vivre dans une société où une telle solidarité est mise en place par l’État. Ce partage de risques améliore le bien-être et crée de la valeur sociale – ce qui est très important face à l’intensité du choc économique que certaines catégories de travailleurs et d’entreprises sont en train de vivre. Aujourd’hui, les assureurs ne sont pas capables de le faire. Seul l’État peut mettre en place un tel mécanisme d’assurance en dernier ressort, et donc socialiser et mutualiser les pertes. En 2008, le choc était de moindre ampleur, avec des coupables identifiés : des banques qui ont vendu des subprimes à des ménages qui allaient être incapables de les rembourser. Il y avait une responsabilité dans la crise. Avec le Covid-19, il n’y en a pas. Par ailleurs, en économie, nous estimons que, lorsque que vous prenez en charge et assurez un risque, les gens sont moins incités à le prévenir, et ce « risque moral » entraîne une réticence à le partager. Mais la pandémie de Covid-19 est « un fait de Dieu » que nous ne pouvions pas prévenir. Nous n’avions aucune capacité à la prévenir. Le « risque moral » n’a donc pas de raison d’être. Autant, en 2008, il y a eu un énorme débat sur la nécessité de socialiser les pertes, parce qu’il y avait un risque que les banques recommencent et préparent la nouvelle crise, autant, dans la situation actuelle, ce n’est pas le cas.

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