Prévisions de mortalité : capter l’onde des risques

28 septembre 2022  | Par Coralie BAUMARD
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Les prévisions de mortalité sont-elles entrées dans une nouvelle ère ? Alors que les conséquences de la pandémie interrogent sur leur portée à long terme, d’autres risques émergent et bousculent les modèles établis.

En 2021, pour la seconde année consécutive, l’espérance de vie à la naissance a chuté aux États-Unis, passant de 77 ans à 76,1 ans, selon les données publiées par le National Center for Health Statistics en août 2022. C’est la seconde fois en un siècle que le pays subit une baisse durant deux années consécutives. Les décès excédentaires en 2020 et 2021, notamment dus au Covid-19, ont entraîné une décroissance globale de l’espérance de vie entre 2019 et 2021 de 2,7 ans pour la population totale (de 3,1 ans pour les hommes et de 2,3 ans pour les femmes).

Les États-Unis ne sont pas les seuls à subir les conséquences de la pandémie. Alors que, depuis les années 1960, l’espérance de vie à la naissance a augmenté en moyenne de plus de deux ans par décennie dans l’Union européenne, près de la moitié des États membres ont connu une baisse de l’espérance de vie à la naissance en 2021. Le Covid-19 rebat-il les cartes des prévisions de mortalité ? « La question est de savoir, au vu des événements de ces deux dernières années, s’il est nécessaire de changer nos projections de mortalité, interroge Marine Habart, actuaire agrégée IA et directrice de l’actuariat vie & santé au Groupe Axa. Or, il existe aujourd’hui deux écoles. La première considère que le Covid-19 n’aura un effet qu’à court terme, il a éventuellement créé un effet de moisson – les personnes touchées, particulièrement les personnes âgées, étaient destinées à mourir prochainement –, c’est de l’anticipation de mortalité. Mais cet épisode de surmortalité est suivi par une période de sous-mortalité. Cela ne modifie donc pas les hypothèses de long terme. La seconde école considère que la pandémie a un impact. Par exemple, l’adoption de gestes d’hygiène plus fréquents va diminuer l’apparition de certaines maladies. Mais des effets négatifs sont également constatés : le Covid a affecté la prévention et la détection de certaines pathologies. De plus, les conséquences des Covid longs sont difficilement identifiables aujourd’hui. La maîtrise des projections de mortalité est ainsi devenue encore plus difficile. » Les conséquences réelles des retards de soin, par exemple, sont encore inconnues, mais elles préoccupent l’Assurance maladie. Dans son rapport « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses », publié en juillet 2021, elle relevait que le nombre d’ablations chirurgicales de cancers a diminué de 6,2 % et les traitements aigus pour les ischémies myocardiques de 7,8 % en 2020, comparé à 2019. Le dépistage des cancers a également été perturbé, les mammographies et les examens pour le cancer du côlon ont respectivement diminué de 14,5 % et de 11,8 % entre 2019 et 2020. Aux États-Unis, l’American Association for Cancer Research estimait, en février 2022, que la pandémie a provoqué une augmentation de 11 % du nombre de patients diagnostiqués avec un cancer inopérable ou métastatique.

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Jean-Marie ROBINE

Jean-Marie ROBINE Directeur de recherche à l’Inserm (Cermes3 et U1198), directeur d’études à l’EPHE et chercheur associé à l’Ined

Interview

Une espérance de vie plus difficile à lire

Quelle est la tendance de l’espérance de vie en France aujourd’hui ?

Jean-Marie Robine: À partir de la fin des années 1960, nous avons eu un gain d’espérance de vie (EV) de trois mois par an. Jusqu’à la canicule de 2003, qui stoppe cette croissance régulière. C’est la première fois que l’EV, en tout cas chez les femmes, n’augmente pas voire diminue. Mais l’année suivante, elle connaît un fort rebond : + 0,8 an, ce qui est considérable. En 2005, elle n’augmente presque pas. En 2012, c’est le retour de la grippe de Hong Kong avec le virus H3N2, qui va provoquer autant de pertes que la canicule de 2003 : 15 000 décès en plus en un hiver. Mais personne ne la remarque et elle commence à être identifiée comme mortelle à son retour en 2015. Et cela va être massif : de 200 000 à 250 000 morts de plus en Europe chez les très âgés. Elle va revenir en 2017 puis en 2018. Cette surmortalité, de 17 000 à 20 000 décès en plus par an en France, va entraîner une sorte de stagnation de l’EV. Elle ensuite va chuter de plusieurs mois en 2020 avec le Covid-19. En 2021, la mortalité est encore importante. Et, en 2022, tout s’additionne, la grippe, le Covid-19 et la canicule massive de cet été. Pour cela, je doute que nous ayons une reprise de l’EV en 2022.

Ces chocs successifs rendent difficile l’étude de la tendance ?

J-M. Robine: Quand il y a une grande croissance de l’EV, l’augmentation est visible même s’il y a de forts incidents chaotiques.
Mais sur une pente faible, la tendance est plus difficile à lire. C’est le cas depuis dix ans. L’augmentation est-elle continue ou allons-nous vers un plateau et un arrêt de la hausse de l’EV ?

Quel est l’âge moyen de décès en France ?

J-M. Robine: Il est sans cesse repoussé. Il n’y a presque plus de décès avant 50 ans, et il est rare de mourir avant 70 ans. Les décès apparaissent entre 70 et 90 ans. Ainsi, l’âge moyen est de 90-91 ans pour les femmes et de 86 ans pour les hommes. La déviation standard de l’âge de décès est d’à peu près six ans. Ce qui veut dire que les deux tiers des décès chez les femmes se produisent entre 85 ans et 97 ans. C’est une énorme concentration. Vous avez ensuite un dernier tiers, qui se produit entre six
et douze ans, avant ou après l’âge le plus fréquent du décès. Dans ce dernier, nous avons donc à peu près 15 % des décès chez les femmes qui vont se produire avant l’âge de 86 ans et 15 % des décès qui vont se produire après 97 ans.