Captive d’assurance : La longue marche de la relocalisation des compagnies françaises dans l’Hexagone

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Outil d’optimisation des risques identifié de longue date par les risk managers, les captives de (ré)assurance séduisent de plus en plus de sociétés françaises dans un contexte post-Covid de durcissement du marché de l’assurance.

Pour répondre à cet engouement, Bercy inscrit depuis deux ans sa volonté d’adapter le cadre réglementaire et de faire de la place de Paris un pôle attractif pour les captives. Après le rendez-vous manqué du projet de loi de finances 2022, le gouvernement déposera, fin 2023, une nouvelle mouture auprès de la Commission européenne.

Description et fonctionnement des captives

Qu’est-ce qu’une captive d’assurance ou de réassurance ?

Une captive est une compagnie d’assurances ou de réassurance interne, créée et possédée par une ou plusieurs compagnies n’appartenant pas au secteur de l’assurance. Son unique objet est d’assurer (ou de réassurer) exclusivement les risques propres du groupe auquel elle appartient. En s’appuyant sur le principe de l’autoassurance, les captives sont au plus près des données du groupe qu’elles assurent, ce qui permet une gestion des risques fine et adaptée à ses besoins spécifiques.

Une captive d’assurance (ou captive directe) est une véritable société d’assurance qui émet des garanties, perçoit des primes et indemnise directement son groupe et ses filiales des sinistres couverts.

A contrario, une captive de réassurance fait appel à un assureur tiers, dénommé « assureur frondeur », pour émettre des polices, encaisser des primes et céder les risques à la captive de réassurance. Dans ce mécanisme, c’est le frondeur qui est responsable du règlement des sinistres couverts dont il collecte le paiement auprès de la captive de réassurance.

Quelle utilisation?

Le recours à une captive est souvent motivé dans un contexte de « hard marquer », lorsque le marché traditionnel ne répond pas aux besoins de l’entreprise, que ce soit en termes de capacités ou de conditions d’intervention.

Si cette approche est le plus souvent mise en avant, n’oublions pas qu’une captive trouve sa pleine justification dès lors qu’elle répond aux problématiques de gestion des risques de l’entreprise. Pour cela, la nature des risques susceptibles d’être transférés à une captive d’assurance ou de réassurance couvre un éventail très large – dommages, pertes d’exploitation, responsabilité civile, transport, crédit, flotte automobile, vie, prévoyance… – et s’étend ainsi aux risques spécifiques, traditionnellement mal ou non assurés sur le marché.

Il s’agit bien évidemment des catastrophes naturelles, mais également des risques émergents – image de marque, cyberattaque, instabilité politique, dérèglement climatique – et des risques spécifiques à certains secteurs, comme la fraude bancaire.

Il est intéressant de noter que les pratiques diffèrent sensiblement, notamment entre captives en Europe et aux États-Unis. Tandis que les premières souscrivent surtout des risques dommages, et plus accessoirement des risques de responsabilité civile ; les secondes souscrivent plus massivement la responsabilité civile et quasi systématiquement les risques relatifs aux accidents du travail et maladies professionnelles (workers’ compensation).

Aspect opérationnel

D’un point de vue opérationnel, la gestion de la captive – qu’elle soit d’assurance ou de réassurance – est généralement confiée à une société de gestion dédiée tierce, ce qui permet de réaliser des économies d’échelle au niveau des activités administratives et comptables afférentes. En effet, la plupart des captives sont des véhicules relativement peu complexes ne nécessitant pas d’employés propres dédiés.

Bien qu’il soit possible de sous-traiter les activités d’une captive, il n’existe pas, en France, de système de licence ou d’agrément pour société de gestion de captive comme c’est le cas dans la plupart des juridictions accueillant les captives aujourd’hui. De plus, une exigence de présence locale pèse sur le conseil de surveillance de la captive.

Cadre réglementaire

La France n’étant pas un domicile traditionnel de captives (neuf à ce jour), sa législation ne prévoit pas, à date, de spécificités pratiques et opérationnelles adaptées pour les sociétés captives. Contrairement à d’autres places européennes, la directive Solvabilité II applique les mêmes règles aux captives qu’aux sociétés d’assurance et de réassurance classiques.

Cependant, compte tenu de la taille et des spécificités de ces véhicules, un principe de proportionnalité équilibré devrait être appliqué, notamment au niveau des dirigeants (nombre et cumul des fonctions clés), de la périodicité des informations quantitatives et qualitatives à présenter aux autorités de contrôle régulièrement (trimestriellement ou annuellement).

Traitement fiscal

Si la France ambitionne de se positionner comme un concurrent crédible du Luxembourg, pour attirer et rapatrier les captives (et notamment françaises), Bercy devra nécessairement faire évoluer son cadre à l’instar des juridictions aujourd’hui plébiscitées (dont le Luxembourg).

Cela passera par un assouplissement des exigences du régulateur et par un aménagement fiscal, afin de permettre aux captives une souplesse de provisionnement qui les protège face aux risques exceptionnels.

Contexte luxembourgeois

Si le Grand-Duché est aujourd’hui l’un des principaux domiciles de captives au monde, c’est grandement dû à sa législation souple et adaptée à l’établissement et au fonctionnement des sociétés de réassurance – qui intègrent les captives de réassurance. Mais, que l’on ne s’y trompe pas, le principal avantage de ce domicile reste la provision pour fluctuation de sinistre (PFS).

La provision pour fluctuation de sinistre

Elle est constituée pour couvrir les risques et charges futures que les sociétés de réassurance pourraient être amenées à supporter en cas de survenance de sinistres exceptionnels.

Par conséquent, elle permet de réduire le risque d’insolvabilité que pourrait courir la société captive de réassurance en cas de sinistralité importante. La présence de cette provision permet à la captive de réassurance de couvrir et/ou d’accroître sa rétention de risques à faible probabilité de survenance et de ne faire appel au marché traditionnel de la réassurance que pour se protéger contre les risques exceptionnels ou une charge sinistre exceptionnelle.

Les risques assurés par une captive sont limités à ceux de la maison mère et de ses filiales, la PFS permet ainsi une mutualisation des risques sur la durée, puisqu’elle ne peut le faire sur le portefeuille d’assurés : les bonnes années permettent de couvrir les pertes d’une année déficitaire.

Un cadre fiscal privilégié ?

« La législation luxembourgeoise autorise la constitution en franchise d’impôt de provisions d’égalisation non déductibles selon les règles fiscales françaises, permettant de réduire, voire d’annuler, le résultat imposable, ou encore lorsqu’elles sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés que dans l’Hexagone. » Le mécanisme de la PFS consiste ainsi à immobiliser du résultat (technique et financier) sous la forme d’une provision d’égalisation jusqu’à un certain plafond, qui tient compte de la sinistralité passée et varie d’un acteur à l’autre.

Spécificité au Luxembourg, cette PFS déductible du revenu imposable est globale et s’applique à l’ensemble des résultats techniques, quelle que soit la branche.

Dans le cas des captives, les risques couverts relèvent essentiellement de secteurs d’évaluation spécifique mettant en jeu des montants importants, difficilement évaluables a priori et dont la survenance peut intervenir à tout moment (par exemple, les risques en matière de pollution, environnement, perte ou cessation d’exploitation…).

Les risques réels sous-jacents dépassent ainsi l’incidence fiscale et, en pareil cas, la PFS justifie sa fonction en rendant indisponibles des sommes dont la distribution affecterait gravement la situation du bilan en cas de sinistre et, par voie de conséquence, l’indemnisation des assurés.

Ces dernières années les captives françaises au Luxembourg sont remises en cause par les autorités fiscales françaises malgré une jurisprudence favorable. La substance est un élément qu’il convient de justifier avec des prises de décision locales via une présence des conseils et comité au Luxembourg.

C’est cette remise en cause, matérialisée par des contrôles et quelques redressements fiscaux, qui pousse les risk managers français à réclamer des aménagements aux autorités françaises pour pouvoir rapatrier les captives dans l’Hexagone.

Une réforme : reportée à 2023

Avec plus d’une dizaine de captives de maisons mères françaises domiciliées hors des frontières françaises, et en particulier au Luxembourg, l’objectif affiché de Bercy est d’ajuster la réglementation et de structurer un écosystème favorable localement pour a minima rapatrier les captives « françaises ». Pour répondre aux demandes croissantes des entreprises hexagonales au sujet des captives, et favoriser ce retour à la source, le Trésor a lancé depuis deux ans différentes consultations et devait proposer deux amendements au projet de loi de finances 2022 censé rapprocher la fiscalité française de celle de ses voisins européens, et notamment luxembourgeois. Finalement, Bercy a revu sa copie et décidé de déposer, fin 2023, son projet auprès de la Commission européenne.

Ce report d’échéance confirme l’ambition du gouvernement d’inciter les ETI et grandes entreprises à s’auto-assurer en se constituant des captives de (ré)assurance via un cadre fiscal des provisions révisé.

Le texte initial prévoyait un dispositif à deux détentes :

  • l’une en faveur des captives de (ré)assurance, afin de proposer la création d’une provision pour lissage, similaire à la PFS luxembourgeoise et fiscalement déductible ;
  • l’autre en faveur des entreprises, afin de proposer la création d’une provision de résilience qui fonctionnerait sur le même mécanisme, et inciter « l’ensemble des entreprises, indépendamment de leur taille, à couvrir les risques exceptionnels, systémiques et extérieurs à leur activité ».

Les répercussions sur l’écosystème français

Avec la mise en place à venir d’un nouveau cadre légal et fiscal, c’est tout un écosystème qui va se développer autour des activités de captives (qui ne possèdent pas, ou très peu, d’équipes interne dédiées) avec : des gestionnaires, des banques, des assureurs actuaires, des avocats, des auditeurs, des commissaires aux comptes…

Si le régulateur s’inscrit lui aussi dans cette logique en décidant d’appliquer, dans le cadre Solvabilité 2, le principe de proportionnalité à ce type de véhicule avec des reportings simplifiés et une gouvernance allégée, plus rien n’empêchera nombre d’entreprises françaises d’opter pour la création de ce type de structure, pour leur développement ou encore pour leur rapatriement sur le sol français.

L’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae) estime à 50 le nombre de projets de création de captive étudiés par ses adhérents, qui attendent une amélioration du cadre français pour être mis en œuvre. Ces développements, couplés aux rapatriements des captives « françaises » pourraient représenter jusqu’à 1,5 milliard d’euros d’actifs qui pourraient être injectés en France à horizon quatre ou cinq ans.

De 1,2 à 3,7 M€ le billet d’entrée

Avec un coût d’entrée d’au minimum 1,2 million d’euros de fonds propres pour une captive de réassurance, et de 3,7 millions pour une captive d’assurance, mettre en place une captive n’est pas à la portée de tous.

De fait, ces structures sont majoritairement exploitées par des grandes entreprises qui y voient un moyen d’optimiser leur programme d’assurance du groupe ou d’assurer leurs risques spécifiques.

Cependant, dans un contexte de « hard marquer » et de post-Covid, de nombreuses entreprises de tailles intermédiaires (à partir de 500 M€ de CA) s’interrogent sur la mise en place de ce type de véhicule d’autoassurance.

L’enjeu des travaux menés par Bercy s’inscrit dans cette dynamique et vient encourager les grands groupes comme les entreprises plus petites à optimiser leur gestion des risques via des solutions d’assurances captives. L’intérêt d’une captive se mesure alors dans un cadre plus large qu’une conjoncture actuelle de « hard marquer », puisqu’elle permet des applications diverses telle que la protection de la croissance d’une entreprise ou encore une indépendance face aux fluctuations de marché (hausse des tarifs, rétractation du marché, durcissement des conditions de souscriptions…) :

  • Internaliser certains risques émergents ou spécifiques à certains secteurs –  image de marque, cyberattaque, etc. – qui ne trouvent pas d’assureur sur le marché va permettre de transformer un risque indéfini en un risque défini, aisément assurable en interne et réassurable auprès de tiers. Mettre en place un suivi et une quantification d’un risque méconnu de la place et de sa sinistralité assure un potentiel transfert vers un assureur traditionnel par la suite.
  • Accéder au marché de grande capacité financière de la réassurance permet à la captive de garantir un montant de risque supérieur à la limite que ses fonds propres lui autorisent. Cela offre au groupe qui la détient la possibilité de piloter son activité en toute indépendance et d’anticiper ses besoins de couverture accrus dans le futur sans être vulnérables aux fluctuations du marché.
  • Identifier un nouveau centre de profit au sein d’un groupe, les bénéfices nets des opérations d’assurances d’une captive venant enrichir les fonds propres du groupe auquel elle appartient. C’est un cercle vertueux en termes de flux financiers qui mène par la suite à l’augmentation du montant du risque couvert, et ainsi couvre la croissance.
  • Créer de la capacité additionnelle et attirer de nouveaux acteurs. En effet en souscrivant une première ligne/tranche de risque l’intervention des assureurs est repoussée sur des lignes de risque plus hautes faisant intervenir d’autres acteurs.

Des solutions alternatives de location de « compartiments » captifs, ou d’exploitation d’un véhicule captif, par une coopérative ou un regroupement d’entreprises exposées à un même risque, peuvent également être envisagées.

Cette mutualisation – sous conditions – permettrait de lever la barrière du financement et d’encourager les entreprises plus petites intéressées par les possibilités qu’offre ce mécanisme d’assurance.

Cet article a été co-rédigé par :
Léa COHEN,
actuaire certifiée IA, manager Ellis Alliance, Co-founder de Braand Studio et coresponsable du GT Captives de l’Institut des actuaires
Fabien GRAEFF,
actuaire certifié IA, Partner Optimind et coresponsable du GT Captives de l’Institut des actuaires
Pierre VALADE,
actuaire certifié IA, directeur commercial Aon France, président de la commission ERM de l’Institut des actuaires

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