Transition écologique et sociale : Pour un nouveau contrat entre l’État et les entreprises

9 janvier 2024  | Par Pascal Demurger
L'actuariel // Le cercle // Transition écologique et sociale : Pour un nouveau contrat entre l’État et les entreprises

Être une entreprise au XXI e siècle, c’est être confrontée simultanément à des exigences économiques croissantes et aux défis d’une colossale transition écologique et sociale. Prix de l’énergie, pénuries, tensions sociales, planification, réglementations, difficultés de recrutement : qu’on le veuille ou non, tout nous ramène à cette réalité. Comment dès lors relever ce défi inédit ?

Un défi écologique et social inédit pour les entreprises

La marche à franchir est immense : nous savons qu’il faudra investir à l’échelle mondiale plus de 4 000 milliards de dollars par an d’ici 2030 dans la transition pour respecter l’accord de Paris, alors que nous n’en allouons actuellement qu’un quart, tout en dépensant autant dans les énergies fossiles. Nous savons que les obligations de reporting extra-financier des entreprises, sans lesquelles nous ne pourrons pas piloter la transition, vont s’affermir et représenter un véritable défi opérationnel. Nous savons que la pression des parties prenantes de l’entreprise, et d’abord de son corps social, va inévitablement augmenter : 75 % des salariés français disent ressentir un malaise face à l’inaction écologique et sociale de leur entreprise. Nous savons tout simplement que les entreprises qui ne prendront pas en compte cette nouvelle donne perdront en attractivité, en résilience, en puissance, jusqu’à potentiellement disparaître.

Le besoin d’un leadership entrepreneurial

Pour réussir, la transition a donc besoin du leadership de dirigeantes et dirigeants engagés, d’entrepreneurs capables d’allier performance économique, écologique et sociale. D’entreprises projetées dans le temps long et soucieuses de leurs externalités négatives et positives. D’entreprises capables de se développer tout en organisant une sortie accélérée des fossiles, des intrants chimiques et des mécanismes de surconsommation des ressources et en garantissant un modèle social favorisant cohésion collective et épanouissement individuel.

Des leviers, nombreux, existent au niveau de l’entreprise pour engager cette transformation : politique d’investissement tournée vers le long terme et l’impact, politique de diversité et d’inclusion, de management par la confiance, logique de sobriété y compris commerciale, stratégie de rémunérations favorisant la cohésion sociale et donnant la priorité à la qualité sur la quantité, adoption du statut de société à mission.

La nécessité d’un changement des règles du jeu

Mais le seul volontarisme de dirigeantes et dirigeants ne suffira pas ou ne produira des effets que trop lentement. Pour être à la hauteur des défis et de l’urgence, l’économie a aussi besoin de règles du jeu adaptées au XXI e siècle. Trop souvent encore, les entreprises qui s’engagent sur la voie de la transition sont pénalisées, car leurs efforts pèsent sur leur compétitivité, induisant une forme de prime à l’immobilisme. C’est cette logique qu’il s’agit d’inverser aujourd’hui en accordant, au contraire, une prime à l’action. La transition a besoin d’une vision renouvelée de la relation entre la puissance publique et les acteurs économiques. À l’État de fixer l’ambition et d’architecturer la transition ; aux entreprises de trouver et de mettre en œuvre leurs propres solutions. À condition que ces dernières y soient fortement incitées.

Comment ? En activant le levier de la conditionnalité. Conditionnalité de la fiscalité et conditionnalité des aides publiques à la poursuite d’objectifs de transition écologique et sociale. Face à l’urgence, la fiscalité et le budget de l’État seraient pensés non plus uniquement pour fournir des recettes à la puissance publique, mais comme un moyen d’alignement avec des objectifs d’intérêt général. Comment comprendre en effet qu’une entreprise dont l’activité a un impact positif sur le vivant et la cohésion sociale ne soit pas davantage soutenue qu’une entreprise moins vertueuse dans ses pratiques ? Comment expliquer que la collectivité dépense a posteriori des milliards en réparation, dépollution, adaptation, solidarité alors qu’elle pourrait s’assurer a priori que chaque euro d’argent public dépensé en soutien aux entreprises minimise leurs impacts négatifs ? Comment être sourd, enfin, à une mesure attendue d’une société en demande de changements ? 86 % de nos concitoyens se déclarent, en effet, favorables à ce principe de conditionnalité.

Un outil maniable dans un monde de contraintes

La logique de conditionnalité est cohérente avec un objectif de soutenabilité des finances publiques et de compétitivité de l’économie.

Sur le premier plan, c’est justement parce que les finances publiques sont sous contrainte – parce que, par exemple, la puissance publique ne pourra pas financer seule la transition écologique – qu’il faut s’assurer que chaque euro dépensé est utile ou, du moins, ne génère pas davantage d’externalités négatives que positives. Sur le second plan, c’est bien parce que la compétitivité et la résilience future des entreprises dépendront de leur capacité à intégrer la transition écologique et sociale qu’il faut les inciter et les accompagner dans ce sens dès à présent.

De nombreux exemples prouvent que cette modalité d’action existe déjà et que, sous conditions, elle fonctionne. En matière sociale, un système de bonus-malus a été mis en place en 2022 sur les cotisations d’assurance-chômage en fonction du recours aux contrats courts dans des secteurs en tension en matière de recrutement. Il s’agit bien de conditionnalité : le taux de cotisation est calculé en fonction du comportement de l’entreprise. Et l’objectif est bien de lutter contre une externalité négative – la précarisation du monde du travail et son coût pour la collectivité –, mais aussi de garantir une meilleure attractivité des employeurs concernés. Quels sont les résultats ? D’ores et déjà, deux tiers des entreprises concernées ont vu leurs cotisations d’assurance-chômage baisser, traduisant une réduction du recours aux contrats courts. Cela avec un impact financier relativement neutre pour le système : 200 millions d’euros ayant transité entre les entreprises bonussées et celles malussées.

En matière écologique, le mouvement d’entreprises engagées « Impact France » a proposé et obtenu que dès 2024 l’accès aux 54 milliards du plan d’investissements appelé France 2030 soit désormais conditionné à la réalisation d’un bilan de ses émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit là d’une mesure nécessaire et simple. Nécessaire, parce qu’il est inenvisageable de préparer l’avenir de notre économie sans piloter la planification écologique et donc sans fixer de trajectoire carbone pour nos plus grandes entreprises. Nécessaire également, parce qu’il s’agit d’une obligation légale instaurée il y a plus d’une décennie et qui n’est aujourd’hui respectée que par 40 % des entreprises concernées : nous ne pouvons pas attendre dix ans de plus pour généraliser cet outil indispensable à la transition. Simple enfin, parce qu’un bilan carbone représente un coût marginal pour des entreprises de grande taille tout en constituant une étape incontournable de leur modernisation. Avec cette conditionnalité, le plan France 2030 renforce donc son pouvoir transformateur pour notre économie et ses entreprises.

Nous pouvons tirer de ces deux exemples quelques premiers principes pour le bon fonctionnement de la conditionnalité. D’abord, que le critère ou les critères retenus soient lisibles, objectivables et en lien avec la nature de l’aide ou du mécanisme fiscal ou social. Ensuite, que les seuils fixés ne conduisent ni à rendre l’aide inaccessible ni à n’entraîner aucun changement de comportements. Enfin, que la décision soit issue d’échanges, de concertations, voire de négociations, entre la puissance publique et les forces économiques. Cela pour rendre les dispositifs à la fois acceptables, soutenables et efficaces sur le plan opérationnel.

Se connecter