Est-il raisonnable d’être optimiste ?

15 juin 2021  | Par Pascal Demurger
L'actuariel // Le cercle // Est-il raisonnable d’être optimiste ?

Un assureur feignant de se demander, en 2021, dans une revue destinée à des actuaires, s’il est raisonnable d’être optimiste ressemble à une provocation. Et même à une double provocation. D’abord, l’air du temps n’est plus guère à l’optimisme. Intimement lié à l’idée de progrès, il renvoie plus au siècle des Lumières ou au positivisme du XIXe siècle qu’à un début de XXe siècle, inquiet et même sombre. Les perspectives sont aujourd’hui plus du côté de la menace que de celui de la promesse. Surtout, le terme ferait presque injure au professionnalisme d’un assureur comme à la rationalité d’un actuaire. L’optimisme n’est-il pas une sorte de biais cognitif qui crée un décalage persistant entre la réalité et la perception qu’en a une personne ? Le terme ne décrit-il pas une tendance à former des anticipations systématiquement trop favorables au regard de ce que serait une lecture strictement objective de la réalité, induisant des décisions excessivement risquées ?

A contrario, l’actuariat consiste bien en une méthode d’appréhension rationnelle, probabiliste des risques. Ils y sont envisagés comme des phénomènes quantifiables soumis à des lois statistiques. Dans le champ assurantiel, l’optimisme ne pourrait conduire qu’à la sous-estimation des risques, à l’insuffisance corrélative des tarifs et, in fine, à la ruine. Et non seulement l’optimisme ne saurait interférer avec l’exercice durable du métier d’assureur, mais, d’une certaine manière, l’assurance est un substitut à l’optimisme. Réduisant les conséquences de la survenance d’un aléa, elle peut remplacer l’optimisme comme moteur de toute entreprise humaine. Même en ayant une juste appréciation du risque, la souscription d’un contrat d’assurance permet d’engager plus facilement des capitaux pour entreprendre. L’assurance contemporaine a d’ailleurs été inventée à Gênes au milieu du XIVe siècle sous la forme de l’assurance maritime, permettant aux grandes expéditions de la renaissance d’être lancées.

Et pourtant, l’urgence environnementale, comme la situation sociale, nous impose d’agir. L’heure n’est plus au simple constat, rationnel mais impuissant, d’une situation critique, moins encore à une capitulation que l’ampleur des défis et notre incapacité à les traiter pourraient rendre tentante. Elle est bien au volontarisme, avec ce qu’il nécessite d’idéalisme, d’acceptation de prise de risques, presque de foi dans la capacité à réussir. En un mot, d’optimisme. D’ailleurs, si l’optimisme est un déterminant de l’action, il devient dès lors un levier d’amélioration de l’existant. S’il est la condition de la mise en mouvement, il devient une clé du succès, une composante de la solution. Il n’est plus alors seulement une manière biaisée d’évaluer une réalité ou une perspective, il permet aussi de transformer le réel, d’aboutir à l’objectif en autorisant le passage à l’acte. Permettant des anticipations en partie auto-réalisatrices, devenant performatif, il ne doit plus seulement être relégué au rang de biais cognitif sympathique, mais coupé de la réalité et dont il faudrait se prémunir. Dans le contexte d’urgence qui est le nôtre aujourd’hui, l’optimisme devient une exigence morale, un impératif catégorique.

Notre regard façonne le monde. Si l’optimisme est un biais dans une vision statique du monde, il devient une volonté dans une vision dynamique, et bientôt une source d’espérance.

Or, la crise que nous traversons n’est-elle pas précisément le moment d’engager une réelle transition ? Elle est déjà l’occasion d’une profonde remise en cause, un moment particulier où la pesanteur des convictions établies est suspendue, où tout redevient possible. Dans ces moments, les esprits changent vite. Quatre décennies d’orthodoxie de la pensée sont remises en question : rigueur budgétaire, libéralisation, dérégulation, mondialisation, tout ce qui s’imposait hier avec la force de l’évidence est désormais questionné voire suspecté. Des questions jusqu’alors inaudibles se posent désormais avec force dans l’espace public. Des tabous disparaissent, non seulement dans le champ des idées et des débats, mais déjà dans celui des propositions concrètes et des réalités tangibles. Celui de la coordination de la fiscalité internationale tout d’abord, pour s’assurer que chacun, et notamment les multinationales, paye sa juste part de l’impôt. Cette idée a cessé d’être une chimère et est désormais portée par les nations les plus puissantes de la planète, avec les États-Unis à l’avant-garde. Le rôle des frontières vis-à-vis de la circulation des biens ensuite. Hier considérée comme un simple sujet d’intendance par des entreprises mondialisées, la question des frontières est aujourd’hui reposée avec un retour au premier plan de la souveraineté économique. Le double totem du contrôle de la dépense publique et de la maîtrise de la dette, également, qui vacille sous le poids des dépenses exceptionnelles engagées pour soutenir les entreprises et les ménages depuis le début de la crise, et qui ouvre des horizons inconnus. Et même la propriété intellectuelle est interrogée par les États-Unis prêts à faire du vaccin contre la Covid un bien commun, appartenant à l’humanité tout entière.

La libération vis-à-vis de ces schémas de pensée nous permet, aussi, de concevoir différemment le rôle de l’entreprise. La conception portée par Milton Friedman (la seule responsabilité de l’entreprise est de maximiser ses profits) n’est plus l’horizon indépassable de tout management jugé sérieux. Il est désormais admis, et même démontré, que, face à une attente sociale de plus en plus forte, requérant de l’entreprise qu’elle s’engage au bénéfice de son environnement et de la société, la recherche d’un impact positif ne diminue pas sa performance économique.

C’est le sens de la transformation menée par de nombreuses entreprises depuis 2019 et la parution de la loi Pacte, en devenant « sociétés à mission ». Il s’agit bien pour elles de chercher à conjuguer au quotidien engagement pour le bien commun et résultats économiques. Au-delà d’une simple conviction, ceux qui, comme nous à la Maif, se sont engagés dans cette voie, mesurent concrètement ce cercle vertueux.

Rechercher de manière sincère et effective l’épanouissement de ses collaborateurs, c’est aussi obtenir un attachement accru, une attractivité plus forte et un engagement collectif plus puissant. Se placer réellement au service des intérêts de ses clients plutôt qu’à celui immédiat de l’entreprise (par exemple dans le monde de l’assurance, par un conseil désintéressé, éloigné de toute vente forcée, ou par une gestion de sinistres soucieuse de venir en aide à l’assuré), c’est augmenter durablement la satisfaction client, ce faisant sa fidélité et donc bâtir un modèle économique vertueux et pertinent dans lequel l’investissement dans la qualité de la relation est amorti et au-delà par la baisse des coûts d’acquisition à niveau de développement constant. Intégrer dans chacun des métiers de l’entreprise une préoccupation constante à l’égard des conséquences environnementales et sociales de ses actes, c’est, au-delà de l’impact positif sur la société, la certitude d’une marque renforcée en un temps où le comportement de l’entreprise devient un déterminant fort des choix des consommateurs.

Nous sommes, pour notre part, désormais très avancés dans cette voie de la conciliation entre impact et performance. Nous en mesurons de manière objective les bénéfices sur chacun des plans. Sa généralisation à l’ensemble des entreprises devra demain devenir la norme, encouragée par l’adoption d’un impact score permettant au consommateur d’être éclairé sur les pratiques réelles de l’entreprise et, par le développement de la conditionnalité des politiques publiques permettant d’adapter la fiscalité, les aides ou la commande publiques au comportement réel des entreprises.

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