Prompt, baby, prompt

23 juin 2025  | Par Marjorie CESSAC
L'actuariel // économies // Prompt, baby, prompt

Énergie, eau, minerais et espace foncier : les besoins de l’IA en matières premières explosent à mesure que cette mutation technologique et sociétale avance. Si des efforts de frugalité sont engagés pour limiter la demande, ceux-ci sont rapidement compensés par des usages croissants et plus sophistiqués.

Ce sont des terres fertiles qui, jusqu’ici, étaient consacrées à la culture du riz. Dans ce coin perdu et verdoyant de la Louisiane profonde, à Richland Parish, des travaux ont démarré dès l’an dernier pour faire émerger en 2030 le plus grand datacenter du groupe Meta (Facebook) qui, au total, en compte déjà 20. Cette infrastructure, dont l’objectif est de stocker et d’organiser les données informatiques, est l’une des nombreuses en cours de développement aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Les modèles de langage comme GPT-4 ou Gemini requièrent d’immenses capacités de calculs qui impliquent la construction de ces vastes centres de données. Les dimensions de celui de Richland Parish (10 fois la taille d’un projet Meta classique), ses besoins voraces en foncier (4 millions de m2, soit l’équivalent de 570 terrains de football) et, surtout, en énergie (avec un projet de construction de deux centrales électriques à gaz à proximité) illustrent ce que représente, en termes de ressources, la course au gigantisme qu’implique l’IA.

Globalement, cette technologie est gourmande en ressources pour la fabrication des serveurs et réclame ensuite une quantité massive d’électricité pour les faire tourner. Selon les dernières prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publiées en avril 2025 (1) : « La demande d’électricité des centres de données dans le monde devrait plus que doubler d’ici à 2030 pour atteindre environ 945 TWh, soit un peu plus que la consommation totale d’électricité du Japon aujourd’hui. » À cette échéance, les centres de données consommeront un peu moins de 3 % de l’électricité mondiale. Aujourd’hui, « un centre de données de 100 mégawatts peut consommer autant d’électricité que 100 000 ménages » par an. Demain, poursuit l’AIE, « les plus grands centres actuellement en construction en consommeront vingt fois plus », soit l’équivalent de deux millions de foyers.

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Point de vue

« Aujourd’hui, la priorité des opérateurs de centres de données va surtout à la compétitivité et au prix de l’énergie »

Certaines zones montrent des signes de saturation en termes d’installation de centres de données. Comment voyez-vous évoluer la poursuite de leur croissance de ce point de vue ?

Ces dernières années, nous avons effectivement vu émerger, au cœur de grands centres financiers comme Francfort, Londres, Paris, Amsterdam ou Dublin, des datacenters hyperscale venus répondre à une demande en calcul ultrarapide. Pour le secteur financier, la proximité avec ces infrastructures est cruciale, car elle permet d’obtenir une connexion rapide aux Bourses. Cette tendance devrait désormais laisser place à l’émergence de hubs secondaires, notamment en Europe du Sud et dans les pays nordiques où l’accès à l’énergie renouvelable et compétitive est un avantage.

Quels sont les critères qui importent dans la recherche d’un nouvel emplacement ?

Plusieurs critères sont importants lors de la sélection d’un site pour la construction d’un futur datacenter. Comme l’accès à du foncier proche d’un réseau électrique, la disponibilité de l’électricité et son mix. À ce titre, la Scandinavie produit de l’énergie en surplus avec un mix renouvelable important, et ce à des prix plus bas que la moyenne européenne. C’est également le cas en Espagne et au Portugal. L’énergie représente près de la moitié des coûts opérationnels d’un datacenter. S’il y a quelques années, les opérateurs cherchaient de l’énergie décarbonée, aujourd’hui, leur priorité va surtout au prix de l’énergie. Ils veulent avant tout un approvisionnement compétitif plutôt que renouvelable.

Vous mettez en lumière le fait que le secteur a connu en 2024 une activité fusions-acquisitions record, avec plus de 21 transactions dépassant les 2 milliards de dollars. Comment envisagez-vous la suite ?

Les investisseurs croient à long terme au développement de ce marché et à la demande future qui lui est associée. Preuve en est, 173 marchés ont été conclus entre opérateurs ou investisseurs l’an dernier, pour un montant de 138 milliards de dollars, contre 143 en 2023 et 113 en 2022. Nous sommes convaincus que cette demande va continuer à se développer en raison de la forte augmentation des besoins, par exemple avec l’adoption de l’IA.

Encadré

Taipei au cœur de la guerre commerciale entre Washington et Pékin

Taïwan, plaque tournante majeure de la production de semi-conducteurs, est plus que jamais tiraillée entre les velléités protectionnistes de Donald Trump et l’agressivité montante de la Chine.

C’était le 15 avril 2025. Nvidia, champion américaindes puces pour l’IA, dévissait en Bourse de près de 7 %, entraînant dans son sillage le Nasdaq. À l’origine de cette forte chute, de nouvelles interdictions décidées par le gouvernement Trump visant l’exportation de certaines puces vers la Chine. Et la taxation plus importante des semi-conducteurs importés de ce même pays. Une mesure qui pourrait, selon Jensen Huang, patron de Nvidia, lui coûter 5,5 milliards de dollars de charges exceptionnelles au premier trimestre (clos à fin avril). L’entreprise n’est toutefois pas la seule à faire les frais du bras de fer géopolitique entre les deux superpuissances et des pressions de l’administration Trump pour freiner les avancées de Pékin dans la technologie de l’IA. Taïwan est également au cœur de cette bataille, puisque l’île contrôle à plus de 50 % l’industrie mondiale des semi-conducteurs et à 90 % celle des puces de dernière génération. Les cartes graphiques (GPU) du groupe Nvidia sont ainsi fabriquées par le fleuron taïwanais TSMC, objet de convoitise de la part tant de la Chine que des États-Unis. Dès 2018, alors que des sanctions technologiques étaient imposées par les États-Unis à la Chine, Taipei a dû cesser l’exportation de ses puces sophistiquées vers l’Empire du Milieu. Désormais, l’île est menacée de droits de douane très élevés par l’administration Trump si elle ne délocalise pas davantage sa production aux États-Unis.  Et ce mouvement a déjà commencé.

Le 3 mars 2025, TSMC a signé un accord d’investissement de 100 milliards de dollars en vue de construire deux usines et un centre R&D. Et ce, après avoir déjà engagé 65 milliards de dollars dans deux usines de semi-conducteurs en Arizona. TSMC a ainsi annoncé qu’il produirait des puces avancées outre-Atlantique d’ici à 2030. « TSMC a explosé en croissance, en volume et en innovation en s’arrimant à Apple. Il se produit désormais la même chose avec Nvidia, souligne Mathieu Duchâtel, qui dirige le programme Asie à l’institut Montaigne. Les achats de ses GPU pour les gros clients cloud représenteraient dans les prochaines années jusqu’à 20 % des nœuds avancés de TSMC. Pour le groupe, c’est une vraie transformation. »

Stratégique en vue de contrer la Chine, ce développement n’est toutefois pas sans inquiéter Taïwan. Outre le fait que cette industrie reste cruciale à sa souveraineté nationale, sa délocalisation peut réduire le risque de dommages engendrés sur place, qui constituait un argument clé pour ralentir l’invasion chinoise. Sans compter que Pékin pourrait bien profiter de ces mesures pour stimuler sa production de composants en se passant de la technologie occidentale. D’où la volonté des autorités taïwanaises
de rappeler la nécessité pour l’île de préserver ses capacités de production et d’innovation nationales. C’est ce qu’a fait le Premier ministre taïwanais, Cho Jung-tai, le 7 avril, jour où TSMC a dévoilé la puce la plus sophistiquée au monde, gravée à 2 nanomètres. Une innovation qui permettra d’augmenter la vitesse de calcul des appareils de 10 % à 15 %. « Sur les prochaines années, jusqu’en 2029 au moins, il n’y aura pas de deux nanomètres produits aux États-Unis. Tout sera fabriqué à Taïwan », poursuit Mathieu Duchâtel. Mais cela pourrait donc vite changer et bousculer l’économie taïwanaise.