Nucléaire : La fusion des intérêts

22 juin 2023  | Par Laure BERT
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La technologie est prometteuse pour produire de l’énergie propre et illimitée, mais les obstacles techniques sont colossaux. Tout autant que les besoins de financement. Après des décennies de recherches publiques, start-up et fonds privés s’invitent dans la course et parient sur le futur.

Les pires prédictions de l’hiver ont été évitées : entre plans de sobriété et délestage, la France n’a pas vécu de « shutdown » électrique. Cette nouvelle crise a donné un caractère d’urgence aux réflexions au long cours sur le juste mix énergétique du futur. Le nucléaire, un temps décrié, s’est à nouveau imposé dans les équations. La France a pris la tête en Europe d’une alliance de onze pays pour défendre l’atome face aux réticences, notamment allemandes. Alors que ces débats politiques se cristallisent sur la fission nucléaire, plus discrètement, une autre technique de production d’énergie est également portée par la crise, la fusion nucléaire. Les perspectives d’utilisation industrielle demeurent lointaines, c’est pourquoi aucun programme gouvernemental de long terme sur l’énergie ne fait référence à un déploiement de la fusion. Mais, dans le même temps, la recherche avance et les oreilles se tendent. Tandis que pour la première fois, lors de la COP 21, des chercheurs sont venus officiellement présenter leurs travaux aux participants, des investisseurs de plus en plus nombreux se positionnent sur cette voie.

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Réactions nucléaires : deux grandes techniques pour atteindre la fusion

Depuis les années 1950, des chercheurs planchent sur la production de l’énergie via la fusion nucléaire. Le défi technologique est considérable. Pour créer cette énergie, les ingénieurs doivent d’abord former un plasma, le « quatrième état de la matière, que l’on retrouve dans les étoiles et le milieu interstellaire », selon la définition du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Ce plasma « constitue la majorité de notre univers (autour de 99 %). Sur la Terre, on ne le rencontre pas à l’état naturel, si ce n’est dans les éclairs ou les aurores boréales, mais on le produit artificiellement en appliquant des champs électriques suffisamment puissants pour séparer le noyau de ses électrons dans les gaz ». Cet état se forme à des températures de plusieurs millions de degrés. Dans ces conditions, les constituants de l’atome se séparent : noyaux et électrons se déplacent indépendamment et forment un mélange globalement neutre. Pour que la fusion nucléaire fonctionne, il faut, une fois le plasma formé, « que le produit de trois paramètres, la densité du plasma (nombre de particules dans un volume donné), sa température et le temps de confinement, soit supérieur à une certaine valeur (appelée critère de Lawson) », explique le docteur en physique expérimentale Greg De Temmerman.

Le confinement magnétique…

Dans le monde, les chercheurs explorent en parallèle deux grandes techniques afin d’atteindre ce Graal. La plus ancienne est la fusion par confinement magnétique. Le mélange de deutérium-tritium (les deux isotopes de l’hydrogène que l’on cherche à fusionner) est porté à plus de 100 millions de degrés Celsius dans un réacteur appelé tokamak : acronyme des termes russes « toroïdalnaïa kameras magnitnymi katushkami », soit « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ». Le plasma ainsi constitué est confiné, c’est-à-dire tenu à l’écart des parois de la chambre – qui brûleraient sinon sous sa chaleur – par des aimants ultra-puissants, générés par les bobines magnétiques et par un fort courant électrique circulant dans le plasma. La fusion est réalisée dès lors que la température, la densité et le temps d’isolation thermique du mélange atteignent les seuils critiques. Il existe environ 200 prototypes de tokamak à travers le monde, dont l’Experimental Advanced Superconducting Tokamak d’Hefei en Chine, opérationnel depuis 2006, et premier tokamak à avoir réussi à produire un plasma stable pendant cent secondes en 2017 ; le Joint European Torus (JET) à Culham au Royaume-Uni ; et enfin le Tore Supra, devenu West en 2016, basé à Cadarache en France. C’est sur ce même site que le fameux International Thermonuclear Experimental Reactor (Iter) doit être monté. Iter, qui comprend 10 millions de pièces fabriquées sur trois continents, sera le plus grand tokamak jamais conçu. Près de quinze ans après le début du projet, l’assemblage du réacteur a débuté en juillet 2020. Il doit durer, sauf contre-ordre, jusqu’à fin 2024.

… ou le confinement inertiel

La deuxième technique pour atteindre la fusion nucléaire est appelée fusion par confinement inertiel. Dans ce cas, le mélange deutérium-tritium est enfermé dans des petites billes de quelques millimètres de diamètre. Ces dernières sont portées à très fortes pression et température par des lasers ultra-puissants qui les compriment d’une brève impulsion (de l’ordre du milliardième de seconde). En août 2022, cette technique a franchi une étape essentielle. Le National Ignition Facility (NIF) du laboratoire national Lawrence Livermore, en Californie, a produit huit fois plus d’énergie grâce à la fusion inertielle que lors de précédentes expériences.En France, la fusion inertielle est étudiée depuis les années 2010 au Laser Mégajoule (LMJ), conçu et réalisé par la Direction des applications militaires du CEA, à proximité de Bordeaux. Doté de 240 faisceaux, le LMJ peut déposer une énergie de 1,8 MJ en quelques milliardièmes de seconde sur une cible centimétrique. La puissance de l’ensemble des faisceaux pourra atteindre « 600 000 Gigawatts », selon un rapport du Sénat. La fusion inertielle revêt d’importantes applications militaires. Elle permet de travailler, en laboratoire, sur le fonctionnement des armes nucléaires et de simuler des explosions atomiques. Le NIF et le LMJ répondent à ce double usage scientifique et militaire.