Capturer le marché des entreprises françaises

9 janvier 2024  | Par Séverine LEBOUCHER
L'actuariel // Métier // Profession actuaire // Capturer le marché des entreprises françaises

Depuis un an, il est plus simple pour une entreprise non financière d’auto-assurer, via une captive, une partie de ses risques sans avoir à s’expatrier au Luxembourg. Ce nouveau régime « à la française » a déjà séduit une petite dizaine de groupes. Le mouvement peut-il s’élargir ?

Il est des articles de loi de finances capables de créer de nouveaux marchés. C’est probablement le cas de l’article 6 de la loi de finances française votée le 30 décembre 2022 et qui instaure, sous conditions, une franchise d’impôt pour provisionner les captives de réassurance domiciliées dans l’Hexagone. Cela faisait de longs mois que l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae) s’escrimait à obtenir un dispositif favorable aux « captives à la française ». « Après le choc de la crise sanitaire, Bercy cherchait des idées innovantes pour améliorer la couverture des entreprises françaises face aux risques systémiques : la captive de réassurance en est une », se félicite Brigitte Bouquot, vice-présidente de l’Amrae, qui prend la tête de la toute nouvelle Fédération française des captives d’entreprise (FFCE).

Apparu il y a plus d’un siècle au Royaume-Uni, le format des captives est très répandu à l’échelle internationale : on estime qu’elles sont entre 6 000 et 7 000 à travers le monde. Quelque 120 entreprises françaises, dont l’écrasante majorité du CAC 40, disposent déjà de ce type de structures permettant d’auto-assurer une partie de leurs risques. Mais elles sont essentiellement domiciliées dans des places « offshore » : les Bermudes, les îles Caïmans, mais aussi, plus près, la Suisse, Malte, l’Irlande et surtout le Luxembourg. Des localisations qui suscitent régulièrement des suspicions d’évasion fiscale et freinent les velléités de certaines entreprises intéressées par le modèle. « Il n’était pas question pour un groupe comme Seb, dont le siège social est à Lyon et qui compte plusieurs sites industriels en France, d’installer notre captive dans un pays comme le Luxembourg où nous ne sommes pas implantés », confirme Anne-Claire Péchoux, risk manager et responsable des assurances au sein du groupe Seb, qui a créé une captive de réassurance en France en 2021, avant même le vote de la franchise d’impôts.

Le dispositif français gagne du terrain

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Pas de rapatriement en vue

Parmi les dizaines d’entreprises françaises disposant d’une captive offshore, aucune n’a encore évoqué la possibilité d’une redomiciliation en France. Cela nécessiterait de redemander un agrément, prévient l’ACPR. Une démarche lourde que les groupes ne se pressent pas de commencer. « Ils ont appris à fonctionner avec le cadre réglementaire local : ce n’est donc pas leur priorité, pointe Frédéric Planchet, associé au cabinet d’actuariat Prim’Act et actuaire agrégé IA. D’autant que le régulateur français a introduit dans sa réforme une clause de revoyure dans deux ans. » Si les modalités techniques de la captive « à la française » – et tout particulièrement son cadre fiscal – venaient à être durcies, de tels rapatriements pourraient ne plus être viables. Pour les groupes, il est donc urgent d’attendre.

Note

Des postes « captivants » pour les actuaires ?

Les captives sont, dans leur immense majorité, de taille trop réduite pour embaucher un actuaire à temps plein. En revanche, elles ont besoin de leur expertise, pour l’étude de faisabilité, les calibrages annuels du niveau de rétention des risques, la réalisation des ORSA, les calculs de solvabilité… « Même si elles sont par essence plus simples qu’une entreprise d’assurance classique, les captives imposent à l’actuaire d’être très polyvalent, souligne Aurélien Schwachtgen, directeur de Aon Global Risk Consulting France, actuaire associé IA. Il faut aussi qu’il soit pédagogue, car il est face à des acteurs qui ne sont pas familiers de concepts actuariels tels que Solvabilité II. » Plusieurs voies permettent aux actuaires de travailler avec des captives. Ils peuvent intervenir pour le compte de leur assureur fronteur, mais aussi de leur courtier ou de leur gestionnaire de captives, les deux métiers étant souvent réunis dans un même groupe. Enfin, les cabinets d’actuariat indépendants peuvent aussi être sollicités, en direct par l’entreprise ou dans le cadre de collaborations avec des gestionnaires de captives.