Assurance : Une financiarisation protéiforme

22 juin 2023  | Par Séverine LEBOUCHER
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Selon certains observateurs, les marchés financiers et leur mode de fonctionnement s’immisceraient, ces dernières années, au sein du secteur de l’assurance. Une financiarisation qui transcende largement la traditionnelle opposition entre capitalistes et mutualistes.

Depuis de nombreuses années – et de manière symptomatique à chaque tempête bancaire ou boursière –, des voix s’élèvent pour dénoncer une « financiarisation » de l’économie. Mais c’est une observation que l’on entend aussi de plus en plus souvent appliquée à l’assurance, en dépit de son évident paradoxe. « Il peut sembler un peu tautologique de parler de la financiarisation du secteur assurantiel : quel sens peut-il y avoir à parler de “financiarisation de la finance” ? », reconnaît Pierre François, directeur de recherche au CNRS en sociologie des organisations et membre de la chaire Pari, en introduction de ses travaux sur le sujet  (1).

De fait, l’assurance occupe une place à part dans le monde de la finance. « La légitimité de l’assurance et de la réassurance reste attachée à l’événement réel, rappelle Philippe Trainar, professeur titulaire de la chaire assurance du Cnam. Le financier est au service du réel et pas l’inverse. » Toutefois, par plusieurs aspects, le financier semble gagner du terrain selon des modalités assez spécifiques au secteur.

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Vous avez dit « dividende » ?

Une banque – ou un assureur – « qui appartient à ses clients, ça change tout », clame une publicité bien connue. Vraiment ? Début janvier, deux acteurs mutualistes, le Crédit Mutuel et la Maif, ont pourtant coup sur coup promis de verser un « dividende ». Un comble pour des acteurs qui, statutairement, n’ont justement pas d’actionnaires à rémunérer ! Ce terme financier par excellence n’a pas été choisi par hasard. Pour le Crédit Mutuel, ce dividende est « sociétal », quand celui de la Maif est « écologique ». Dans les deux cas, il traduit la promesse de ces acteurs de consacrer une part de leurs profits au bien commun. Une manière de montrer que le financier peut aussi être au service de l’extra-financier. La théorie économique la plus pure ne dit d’ailleurs rien d’autre. « L’idée qu’une mutuelle serait plus attractive, pour un client, qu’un acteur capitaliste car elle n’a pas de dividendes à verser est une illusion de l’esprit : dans la théorie de l’équilibre général, les deux modèles sont nécessairement équivalents, prévient Philippe Trainar. Ainsi, dans le cas d’une mutuelle, l’assuré apporte, à travers la prime qu’il paie, du capital à son assureur et ce dernier doit le rémunérer à la même hauteur qu’il le ferait s’il avait des actionnaires. » Toutefois, cette rémunération prend des formes bien différentes du classique dividende sonnant et trébuchant. La plupart du temps, elle se traduit par des tarifs plus bas pour les assurés. Mais ce sont aussi les valeurs incarnées par le sociétariat qui désormais deviennent l’objet de cette rétribution. « Les dividendes sociétaux sont un exemple de rémunération du capital apporté par les sociétaires qui ne dit pas son nom », résume Philippe Trainar. Là, la valeur créée est partagée avec la société et la planète, reconnues comme autant d’ayants droit naturels.