La guerre en Ukraine a projeté les prix des matières premières agricoles au sommet. Tandis que les pays du Maghreb, du Proche et Moyen-Orient souffrent déjà de pénurie, le spectre d’une vague de famines émerge. En Occident, les États sont à la manœuvre pour prévenir le choc, susceptible de menacer les équilibres politiques et sociaux.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier a saisi d’effroi les Européens. Parallèlement au martyre des populations, une autre menace a émergé des vastes plaines céréalières ukrainiennes : celle d’une crise alimentaire sans précédent pour la planète. Dès le 14 mars, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, évoquait ainsi la perspective « d’un ouragan de famines et d’un effondrement du système alimentaire mondial ». Greniers à blé du monde, l’Ukraine et la Russie ont brutalement réduit leurs exportations en raison des dévastations, des sanctions et des problèmes de fret. Depuis la guerre, les prix des matières premières agricoles s’envolent, obligeant chacun à s’adapter : les pays riches paient davantage, les plus modestes se restreignent… tant qu’ils le peuvent encore.
Face aux restrictions, les prix prennent l’ascenseur
Ensemble, les vastes champs ukrainiens et russes assurent 30 % des exportations mondiales de blé, 17 % de celles de maïs et environ la moitié de celles d’huile de tournesol. Surtout, selon l’Organisation mondiale des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), « 45 États parmi les pays en développement importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie, et 18 d’entre eux en importent au moins 50 % ». La FAO prévoit, en raison de la guerre, une contraction des échanges mondiaux de céréales de 2 % en 2022. Le premier avril, l’ancien président russe Dimitri Medvedev, un des plus proches conseillers de Vladimir Poutine, a ainsi prévenu que son pays « ne fournira de nourriture et de produits agricoles qu’à ses amis », et de préciser : « Nous en avons beaucoup, et ils ne sont pas en Europe et en Amérique du Nord. » Du côté de l’Ukraine, le gouvernement a interdit début mars l’exportation de blé, d’avoine, de sarrasin, de millet ou de sucre afin de nourrir en priorité sa population. Les récoltes sont également amputées par la guerre. Selon le cabinet de conseil ukrainien APK Inform, la production locale d’huile de tournesol pourrait ainsi être jusqu’à 30 % inférieure à celle de l’année 2021. « La récolte sera à son niveau le plus faible depuis treize ans, avec 4,2 millions de tonnes attendues, précisent les analystes. La majorité de la guerre se déroulant dans les régions clés de la production de graines de tournesol. » Par ailleurs, le blocage des ports, notamment Odessa, Marioupol et Mikolaïv, a presque réduit à zéro les exportations de graines. Le 14 avril, le ministre de l’Agriculture ukrainien avançait ainsi qu’environ 20 millions de tonnes de graines menaçaient de pourrir dans des conteneurs faute de transporteurs, quand l’Ukraine exporte environ 5 millions de tonnes par mois en temps normal.