Fléau des opioïdes : y a-t-il une exception française ?

4 janvier 2022  | Par Céline CHAUDEAU
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Le phénomène de dépendance aux opioïdes qui affecte les États-Unis depuis vingt ans atteint et inquiète désormais la Grande-Bretagne. En France, les chiffres, bien que bas, sont en augmentation. Un signal assez fort pour mobiliser dès aujourd’hui les actuaires ?

Depuis 1999, la crise des opioïdes aurait tué plus d’un demi-million de personnes aux États-Unis, selon les statistiques des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC). Les overdoses sont ainsi devenues la première cause de mortalité évitable avant 50 ans dans la population américaine. Au Canada, la crise est tout aussi importante. Le nombre de morts causées par des opioïdes a ainsi augmenté de 592 % entre 2000 et 2017, selon une récente étude de l’université de Waterloo. Les opioïdes (ou opiacés) sont des substances d’origine naturelle, semi-synthétique ou synthétique, dérivées de l’opium, qui activent dans le cerveau les récepteurs morphiniques. Médicaments antidouleur efficaces, ils présentent un haut potentiel addictif dès lors qu’ils échappent à un contrôle médical (lire l’entretien avec Rémy Sounier). Certains sont aussi détournés de leur utilité première, pour un usage stupéfiant.

En 2018, Didier Sédénio, actuaire certifié IA reserving senior chez Scor, se rend régulièrement aux États-Unis pour rencontrer ses collègues actuaires. Alors qu’il doit choisir un sujet de mémoire dans le cadre de sa formation ERM, l’étude de ce phénomène s’impose à lui. Sur les murs du métro new-yorkais s’étalent de nombreuses affiches, payées par des avocats à destination de victimes des opioïdes, promettant réparation. «Ce qui m’a frappé avec ce sujet, c’est qu’il peut véritablement toucher tout le monde. Des médicaments sont prescrits et, du jour au lendemain, vous ou quelqu’un de votre famille peut développer une addiction. Quand il a été impossible de se procurer des opioïdes en pharmacie, beaucoup sont allés dans la rue, sur le marché parallèle. Vous pouvez tomber dans un cycle infernal jusqu’à la déchéance, avance-t-il. C’est surtout à New York que j’ai découvert l’étendue de la crise. Là-bas, c’était un sujet majeur. Il était question de milliers de morts, l’équivalent de plusieurs World Trade Center. »

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Rebond

Une lanceuse d’alerte contre la codéine

Christelle Cebo s’est muée malgré elle en lanceuse d’alerte contre les opioïdes. Le 22 avril 2017, Pauline, sa fille de 16 ans, tombe dans le coma à la suite d’une overdose de codéine et décède dix jours plus tard. Christelle Cebo décide alors d’entamer un combat pour les autres, en lançant une pétition afin que la codéine ne soit plus en vente sans ordonnance dans les pharmacies. Elle rassemble rapidement plus de 50 000 signatures. « Agnès Buzyn, la ministre de la Santé de l’époque, a accédé à ma demande et a pris un arrêté dès le mois de juillet 2017 pour que cet antalgique ne soit plus en vente libre. » En 2019, Christelle Cebo publie un livre  (1) et continue de mobiliser pour davantage de prévention sur la question. Pour lutter contre la dépendance aux opioïdes sans les interdire, elle milite avec plusieurs addictologues en faveur d’un fichier commun à tous les médecins qui centraliserait les prescriptions, évitant ainsi de pouvoir cumuler les ordonnances. Les chiffres officiels, selon elle, sont clairement sous-estimés et le danger, réel : «Les témoignages que je reçois montrent que les cas répertoriés ne sont que la partie émergée de l’iceberg. »

1 – Pauline, un drame familial : Codéine, tous concernés, Christelle Cebo et Émilie Poyard, éditions Albin Michel, 2019.

Point de vue

« Se focaliser sur le nombre de décès aboutit à sous-évaluer les ravages »

Pourquoi parle-t-on d’une « crise des opioïdes » aux États-Unis ?

R. Sounier: Dans les années 1990, aux États-Unis, les opioïdes ont commencé à être prescrits pour des affections diverses, comme les maux de dos. Certains médicaments ont bénéficié d’une véritable campagne de publicité. Il y a eu du lobbying de laboratoires qui sont allés jusqu’à accorder des primes à des médecins en fonction du volume de leurs prescriptions.
Cette surconsommation a provoqué des addictions. En quête de doses plus fortes, beaucoup se sont tournés vers un vaste marché de substances opiacées illicites particulièrement puissantes, comme le fentanyl. Contrairement à la crise de l’héroïne dans les années 1980, qui concernait surtout des marginaux, la crise des opioïdes a commencé à toucher toutes les classes sociales dans les années 2000.

Que faudrait-il surveiller en France ?

R. Sounier: Il y a une série d’effets secondaires classiques des opiacés qui méritent notre attention : difficultés respiratoires, sautes d’humeur, constipation, dépression, dépendance… Se focaliser sur le nombre de décès aboutit à sous-évaluer les ravages. Il est difficile de prédire l’arrivée d’une crise comme le basculement vers un marché illégal. Cependant, nous trouvons déjà du fentanyl en France…

Quel rôle les assureurs peuvent-ils jouer ?

R. Sounier: Un assureur peut alerter ses assurés sur les risques encourus. Évidemment, il n’est pas question d’arrêter les antidouleurs. Cependant, trop de Français ignorent ce qui peut arriver, notamment la survenue d’une dépendance.Chacun, à son niveau, doit inviter à la vigilance. Le principal problème en France, ce sont les médicaments conservés dans son armoire à pharmacie. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement. En 1890, Bayer a créé l’héroïne, soi-disant plus efficace, pour remplacer l’addiction à la morphine. Nous avons vu les conséquences. Tous les opiacés entraînent une dépendance. Dès lors, la seule prévention demeure leur bonne utilisation.