L’Union fait la dette ?

28 septembre 2022  | Par Séverine LEBOUCHER
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Le plan de relance post-crise sanitaire de l’Union européenne a conduit cette dernière à devenir un émetteur de dette majeur sur les marchés financiers. Un an après ses premières émissions, le bilan est positif. Mais le caractère temporaire du dispositif limite son efficacité. Sa pérennisation est âprement discutée alors que la guerre en Ukraine fait apparaître de nouvelles difficultés.

« J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises », écrivait Jean Monnet en 1976. Près de cinquante ans plus tard, les décideurs européens semblent, une fois de plus, lui donner raison. C’est au cœur de la crise sanitaire, alors que les États membres croulent sous la dette issue de leur lutte contre la pandémie, qu’est décidé le programme Next Generation EU (NGEU) : environ 800 milliards d’euros pour relancer l’économie européenne en accélérant sa transition énergétique et sa digitalisation.

Or, il est prévu que le financement de ce programme ambitieux soit assuré par de la dette levée conjointement au niveau de l’Union européenne (UE), via la Commission, à des taux très avantageux. Une pratique à laquelle les États dits « frugaux », au premier rang desquels l’Allemagne, s’étaient toujours opposés, par peur que les États moins rigoureux dans la gestion de leurs comptes publics profitent de cette aubaine pour se financer à moindre coût sans avoir de comptes à rendre. Mais à l’aune de la crise, cet outil apparaît pourtant indispensable pour répondre à l’un des principaux défauts de construction de l’Europe : l’absence d’une réelle union budgétaire.

Un dispositif inédit à plusieurs titres

La principale caractéristique qui rend original le mécanisme, décidé à l’été 2020 et mis en place un an plus tard, est la manière dont sont affectés les fonds levés sur les marchés financiers. « Par le passé, l’UE s’était déjà endettée, notamment depuis les années 1970, pour aider les États au rééquilibrage de leur balance des paiements ou pour financer des programmes d’assistance multilatérale à des pays tiers, précise Andreas Eisl, chercheur à l’Institut Jacques-Delors. Mais elle reprêtait immédiatement les sommes levées aux États membres qui les remboursaient ensuite. On parlait de mécanisme « back-to-back ». Le programme NGEU change la donne, car une partie (plus de 40 %) de la somme est versée sous forme de subventions aux États et non uniquement de prêts. » Ce sera donc à l’UE de rembourser directement. Elle prévoit d’ailleurs pour cela de lever, d’ici à 2028, de nouvelles recettes propres, notamment en introduisant une taxe sur le carbone importé.

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Didier BOROWSKI, Responsable Global Views, Amundi Institute

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Point de vue

« Une pérennisation du NGEU permettrait de financer collectivement les biens communs européens »

Comment le sujet de la dette européenne s’inscrit-il dans l’actualité de l’UE ?

Avec la récession qui se profile en Europe, les déficits budgétaires vont s’accroître et peser sur les dettes des États. La question de la pérennisation du NGEU après 2026 va vite se poser. Elle sera très liée à la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, qui a été repoussée d’un an pour tenir compte du contexte de la guerre en Ukraine. Mais les débats vont reprendre en 2023. Les pays du nord de l’Europe vont chercher à obtenir une baisse des dépenses structurelles des pays du Sud et il est probable que la question de la pérennisation du NGEU soit mise dans la balance pour y parvenir : les efforts budgétaires demandés deviendraient plus acceptables pour les seconds si, en échange, ils ont la perspective d’un financement commun.

Est-ce un moyen de lutter contre l’écartement des spreads de ces pays ?

Oui, mais pas à n’importe quel prix. Ainsi, le nouveau programme anti-fragmentation de la zone euro (TPI) que la BCE vient de mettre en place est conditionné au respect des engagements pris dans le cadre du NGEU. La BCE n’achèterait pas les emprunts d’État d’un pays qui ne respecte pas ses engagements. À cet égard, l’Italie sera un test : le prochain gouvernement ne bénéficiera d’aucun blanc-seing !

D’autres chantiers sont-ils également concernés ?

Une pérennisation du NGEU permettrait de financer collectivement les biens communs européens. Cependant, les financements publics ne suffiront pas à répondre à l’ensemble des besoins d’investissement liés à la transition énergétique. Il faut donc également créer les conditions adéquates pour mobiliser l’argent privé : la finalisation de l’union des marchés de capitaux est un objectif indissociable des débats autour du NGEU.

Rebond

Dette souveraine, un retour en grâce chez les assureurs ?

À la faveur de la remontée des taux, les assureurs-vie commencent à réinvestir en dette souveraine. L’Union européenne en profite… sans pour autant totalement convaincre.

Comment investir à taux négatif quand on doit offrir un rendement au moins égal à zéro à ses clients ? Pour tenter de résoudre cette quadrature du cercle, les assureurs-vie ont dû, ces dernières années, se détourner de leur placement phare : les dettes d’État. «Fin 2020, du fait des taux très bas, nous n’avions que 45% de notre portefeuille obligataire investi en dette souveraine, alors qu’il est proche de l’équilibre sinon», indique Olivier Héreil, directeur général adjoint, responsable des gestions d’actifs de BNP Paribas Cardif. Au niveau européen, la tendance est la même. «Selon l’Eiopa, la part de la dette souveraine est passée de près de 30% en 2017 à 28% en 2021, soit une baisse de deux points, notable pour des portefeuilles caractérisés par une forte inertie», complète Vincent Chaigneau, directeur de la recherche chez Generali Investments. Plus largement, c’est toute la poche obligataire, y compris la dette d’entreprise, qui a pâti de la baisse des taux. «Lorsque les taux sont massivement passés en territoire négatifs en 2019, nous avons même cessé d’acheter des obligations, et ce jusqu’en 2021», témoigne Olivier Della Santina, directeur des investissements de Malakoff Humanis et actuaire certifié IA. Depuis quelques mois, en effet, la situation a radicalement changé : les taux sont repartis en forte hausse. Une vraie bouffée d’air pour les assureurs-vie qui retrouvent des rendements attractifs sur cette classe d’actifs à la fois très liquide et proposant des maturités longues, donc idéale pour adosser des passifs d’épargne. «Nous rachetons de la dette souveraine depuis le mois de février», confirme Olivier Della Santina. Pour rester cohérents avec la localisation de leurs risques et pour contribuer au financement de leur pays, les assureurs hexagonaux privilégient les titres de l’État français. Mais ce biais national marqué ne les empêche pas d’investir dans la dette d’autres pays, voire d’organisations supranationales. C’est notamment le cas de la dette émise par l’Union européenne. Les émissions syndiquées de long terme de cette dernière sont ainsi généralement souscrites à près d’un quart par des assureurs ou des fonds de pension, qui apprécient son important volume d’émission et sa propension à offrir des green bonds. Pour autant, certains assureurs restent sur la réserve. «Notre stratégie d’investissement se construit sur le long terme et nous avons besoin de visibilité sur les émissions futures. Le rattachement des émissions de l’Union européenne à un plan spécifique à durée fixe limite notre capacité d’anticipation. Le plan de relance Next generation EU ne sera disponible que jusqu’en 2026», témoigne Olivier Héreil. «Nous n’avons pas le même niveau de confiance sur la santé financière des États membres, qui nous paraît hétérogène dans le contexte actuel: ce n’est pas le meilleur moment pour se positionner sur un actif qui emporterait le risque de défaut de l’ensemble de ces États», renchérit Olivier Della Santina. L’Europe a encore un long cheminà parcourir avant de devenir un acteur de poids dans les portefeuilles institutionnels.