Haute mer : une lutte abyssale

3 janvier 2023  | Par Jessica BERTHEREAU
L'actuariel // Géopolitique // Haute mer : une lutte abyssale

Les eaux internationales regorgent de ressources, notamment génétiques, qui aiguisent les appétits. Depuis 2018, les Nations unies travaillent sur une nouvelle convention pour mieux protéger ces zones. Mais l’accord peine à prendre forme tant les enjeux économiques et géopolitiques sont majeurs.

« Le droit de la mer s’est forgé au diapason des besoins et des avancées techniques de l’Homme », rappelle Cyrille P. Coutansais, directeur de recherches du Centre d’études stratégiques de la marine (CESM), en introduction de l’ouvrage Guide de navigation de la biodiversité marine au-delà de la juridiction nationale  (1). « La largeur de la mer territoriale s’est ainsi étendue au rythme de la portée des canons, quand le concept de liberté des mers venait appuyer l’expansion du négoce hollandais », poursuit-il. De nos jours, les différentes zones sous juridiction étatique sont définies dans la convention des Nations unies sur le droit de la mer, sorte de « Constitution des océans », signée en 1982 et entrée en vigueur en 1994. « Plus on s’éloigne des côtes, plus les compétences de l’État côtier diminuent. En haute mer, au-delà de 200 milles marins, ce n’est plus la compétence de l’État côtier qui prévaut, mais celle de l’État du pavillon ainsi que le principe de liberté », explique Annie Cudennec, professeure de droit public à l’université de Bretagne occidentale.

Ce principe de liberté des mers est très ancien. « C’est l’un des grands principes ayant guidé le droit maritime depuis des siècles avant d’être concrétisé au XVII esiècle par le principe de liberté de navigation », détaille Annie Cudennec. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, le décline en six grandes libertés : celles de navigation ; de survol ; de poser des câbles et des pipelines sous-marins ; de construire des îles artificielles et autres installations autorisées par le droit international ; de la pêche et, enfin, de la recherche scientifique. Pour autant, la haute mer, qui représente 64 % des océans, est loin d’être un espace de non-droit.

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Grands fonds marins et exploitation minière

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 distingue, dans les eaux internationales, la colonne d’eau, qualifiée de haute mer, des grands fonds marins (sol et sous-sol).
Ces derniers, appelés la « Zone », disposent du statut de « patrimoine commun de l’humanité ». Depuis 1996, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) est l’organisme habilité à agir dans la Zone au nom de l’humanité : elle est chargée de réglementer l’exploration et l’exploitation minière des grands fonds, de s’assurer de la protection de l’environnement marin dans le cadre de ces activités et de promouvoir la recherche scientifique dans la Zone. Si l’exploration des fonds marins est en cours depuis longtemps, leur exploitation n’a pas encore commencé et l’AIFM planche depuis des années sur un code minier d’exploitation. Le calendrier s’est accéléré récemment. Un petit État du Pacifique, Nauru, a déposé en juillet 2021 une demande de permis d’exploitation avec la société canadienne The Metals Company, et activé une disposition donnant un délai de deux ans à l’AIFM pour finaliser le règlement d’exploitation. S’alarmant des dommages écologiques liés à l’exploitation minière des fonds marins, de nombreuses ONG ont appelé à un moratoire. À l’été 2022, le Président français Emmanuel Macron s’est lui-même prononcé pour un « coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer », une position qu’il a confirmée lors de l’ouverture de la COP 27 en novembre dernier en Égypte. Selon le député écologiste Nicolas Thierry, qui a déposé à l’Assemblée nationale une résolution cosignée par neuf partis politiques demandant un moratoire d’au moins dix ans, « l’adoption précipitée d’un code minier ainsi que l’approbation de contrats d’exploitation, comme le permis test actuellement accordé par l’AIFM à l’entreprise canadienne The Metals Company dans le Pacifique, serait une grave menace pour les fonds marins et l’océan ». À ce jour, « seuls 20 % des grands fonds marins ont été cartographiés », a-t-il souligné lors d’une conférence de presse fin octobre. D’autres pays se sont prononcés pour un moratoire de précaution, dont l’Allemagne, l’Espagne, la Nouvelle-Zélande, le Panama et le Costa Rica. Pour Virginie Tassin Campanella, il est très peu probable que l’exploitation démarre en juillet 2023, à l’expiration du délai des deux ans. « Cette règle des deux ans n’est qu’une sonnette d’alarme et le code d’exploitation ne sera pas prêt d’ici là. Il se heurte à de grandes complexités, tant en termes de partage des bénéfices de l’exploitation que de protection de l’environnement marin. La connaissance scientifique des fonds marins n’est pas assez développée pour mener de véritables études d’impact environnemental », souligne l’avocate. Et de regretter : « Tout le monde prête attention à ce qui se passe dans les grands fonds marins alors que les enjeux de l’exploitation minière qui sont sur le plateau continental, sur lequel les États disposent de droits souverains, sont tout aussi importants, voire plus importants par sa proximité des côtes. »