Transitions en sol mineur

28 septembre 2023  | Par Rémi MILESI
L'actuariel // Environnement // Transitions en sol mineur

L’industrie minière ne brille pas par son image. Mais, sans elle, pas de monde moderne. Et encore moins d’avenir. Les besoins de terres rares, lithium et autres minerais et métaux remettent le secteur sous les feux des projecteurs, tandis qu’il doit jongler entre demande mondiale croissante et contraintes ESG.

Nécessité fait loi. « Sans exploitation minière, il n’existe pas de transition numérique et verte », tranche ainsi Colin Mackey, directeur des opérations européennes du géant minier mondial Rio Tinto, interrogé par La Tribune en mars 2023. À l’heure où les nations s’engagent vers le Net-Zero à horizon 2050, les besoins en matériaux et métaux pour la green tech s’annoncent colossaux. Pour l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 80 % du mix énergétique mondial sont composés d’énergies fossiles – pétrole et charbon en tête (30 % du mix chacun), et gaz (20 %). En regard, l’hydroélectricité représente 2,4 %, l’éolien, 0,4 % et le solaire 0,08 %. Ces technologies du renouvelable se construisent avec du lithium, du graphite, du cobalt, du nickel et des terres rares. Et elles demandent beaucoup de matériaux. Une voiture électrique nécessite, par exemple, six fois plus de matériaux qu’une thermique ; et un mégawatt de production électrique en éolien offshore en demande seize fois plus que le nucléaire.

Au global, la demande de matériaux va augmenter d’un facteur quatre, voire six, entre 2020 et 2040. Soit de moins de 10 millions de tonnes de matériau à plus de 40 millions de tonnes par an. Il y aura besoin de 42 fois plus de lithium, de 25 fois plus de graphite, de 21 fois plus de cobalt, 19 fois plus pour le nickel et 7 fois plus de terres rares, exposait Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) lors d’une conférence à la Société française d’énergie nucléaire, en 2022. Et ce pour les seuls besoins de la transition énergétique. En y ajoutant ceux de la transition numérique et ceux de l’augmentation de la population mondiale et de son urbanisation croissante, il faudra produire plus de ressources minérales d’ici à 2050 que tout ce qui a pu l’être depuis le début de l’humanité, selon le directeur de recherche CNRS à l’Institut des Sciences de la Terre (Isterre).

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Note

Roche, minerai, minéral, métaux... de quoi parle-t-on ?

  • Un minéral est un matériau solide et inorganique, formé d’un ou plusieurs éléments chimiques. Ils sont le plus souvent facilement identifiables grâce à leur aspect ou leur couleur. Exemples : argent, plomb, diamant, quartz, opale.
  • Une roche est un agrégat de minéraux homogène ou non, qui peut se présenter sous différentes formes (solide, huileuse, meuble…). À la différence d’un minéral, les roches contiennent parfois des matériaux organiques. Exemples : basalte, ardoise, marbre, argile, pétrole.
  • Un minerai désigne toute roche suffisamment riche en minéraux pour être exploitable. Par extension, on utilise le terme minerai pour désigner les minéraux exploités (or, uranium, fer…). Il s’agit donc plus d’un terme économique que géologique. Le plus souvent, un minerai est extrait d’une roche.
  • Les terres rares ne sont pas rares dans la croûte terrestre, mais leur extraction est complexe et difficile. Elles ont des utilisations variées dans la fabrication du verre, des céramiques, des vernis, des aimants, des lasers, des tubes cathodiques ainsi que dans le raffinage pétrolier. On en dénombre 17 : scandium, yttrium, lanthane et les 14 lanthanides associés.
  • Un métal est une substance élémentaire qui se trouve naturellement dans les minéraux. Exemples : or, argent, cuivre, lithium.
  • Un métal rare est un métal dont l’abondance moyenne et/ou la disponibilité (capacité à se concentrer en gisements) est faible dans la croûte terrestre. Exemple : le cérium, la plus abondante des terres rares, constitue 0,006 % de la croûte terrestre.
  • Un métal stratégique est un métal indispensable à la politique économique d’un État, à sa défense, à sa politique énergétique ou à celle d’un acteur industriel spécifique.
  • Un métal critique est un métal aux propriétés particulières pouvant entraîner des effets industriels ou économiques négatifs liés à un approvisionnement difficile.
Rebond

Emili in l'Allier, les défis d’une mine responsable

 

Le projet Emili, dont la mise en production est prévue pour 2028, illustre les défis
de développement d’une mine 100 % responsable. Du transport de matériau aux infrastructures en passant par la gestion de l’eau, les adaptations sont nombreuses.

Le projet Emili (pour Exploitation de Mica Lithinifère par Imerys), annoncé en octobre 2022, prévoit de produire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an sur au moins vingt-cinq ans. L’exploitation prendra place sur une petite carrière à ciel ouvert déjà exploitée par le groupe pour son kaolin, à Beauvoir dans l’Allier, pour une entrée en production prévue à partir de 2028. «Cela fait des années qu’il n’y a pas eu d’ouverture de mines en France. Le seul chemin pour procéder aujourd’hui est celui de la mine responsable à 100% et d’investir dans tous les choix opérationnels en ce sens», avance Vincent Gouley, directeur communication et développement durable projets lithium d’Imerys. Le premier de ces choix est celui d’opter pour une future mine souterraine, contrairement à un site à ciel ouvert «qui se serait étendu sur une surface inadaptée au contexte local», expose-t-il. Si cela permet de réduire l’impact environnemental, les stockages extérieurs, la génération de poussière et le bruit, le coût sera de «trois à quatre fois plus» élevé qu’une carrière à ciel ouvert. Un deuxième choix est lié au transport du matériau brut vers le site de traitement, qui implique une logistique à la hauteur des 300 000 à 400 000 tonnes/an de minerai à traiter. Le choix des camions a vite été mis de côté au profit du rail en utilisant une voie de chemin de fer existante implantée à 15 km du site, mais il reste encore à acheminer le minéral jusqu’à une station de chargement. «Nous envisageons d’utiliser des canalisations souterraines le long des routes dans lesquelles devrait transiter un mélange de matériau brut et d’eau sous pression.» Cette station de chargement fera aussi office de stockage, nécessaire du fait d’une extraction en continu d’un côté et d’un convoyage par train discontinu de l’autre. «C’est trois projets en un, en réalité», résume Vincent Gouley. «La gestion de l’eau est également source d’inquiétude. Sur ce point, il faut savoir que l’extraction du lithium est “sèche”, contrairement à celle d’autres minéraux. Elle sera utilisée en circuit fermé et recyclée à 80% sur site, les 20% restants sont résiduels dans les produits acheminés vers le site de traitement. Cela demande juste un appoint en eau. Ainsi, le projet consommera significativement moins que les sources alternatives en Amérique du Sud et est similaire à beaucoup d’autres activités industrielles en France.»
Ce projet sera par ailleurs encadré par les programmes-groupe qu’Imerys entend déployer sur toutes ses activités : « I-Cube » (technologies numériques avancées d’optimisation de la production) ; I-Nergize (baisse d’émissions de CO2) et SustainAgility (valorisation des équipes ; préservation de la planète ; comportement éthique et durable). Pour Emili, «nous allons un cran plus loin en répliquant le standard professionnel Irma [Initiative for Responsible Mining Assurance], qui exige que les sociétés minières communiquent et prennent en compte les retours des parties prenantes – riverains, communautés locales, etc. – tout le long du projet. Irma s’ajoute à nos certifications de management environnemental préexistantes, ISO 14001 ou Emas, adoptées sur la moitié des sites d’Imerys.» Avec Emili – et le futur site en développement en Cornouailles (avec British Lithium) –, Imerys devrait assurer à terme 20 % des capacités européennes de production de lithium.