Front(s) de mer

22 juin 2023  | Par Jessica BERTHEREAU
L'actuariel // Environnement // Front(s) de mer

Sur le long terme, aucune commune « riveraine de la mer ou de l’océan » n’échappera à la montée des eaux en France. Les perspectives de submersion marine et d’érosion côtière représentent un véritable défi pour les dispositifs actuels de gestion des risques naturels majeurs.

C’est irréversible : l’élévation du niveau de la mer sera de 55 cm à 1 mètre en 2100, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), et pourrait dépasser 2 mètres au plus tôt d’ici une centaine d’années et au plus tard d’ici à 2 000 ans. En France, toutes les 975 communes classées « riveraines de la mer ou de l’océan » par la loi Littoral (885 en métropole et 90 en Outre-mer, hors Mayotte) ne sont pas considérées à risque pour l’instant, mais, « sur le temps long, aucune ne sera épargnée », prévient la géographe Catherine Meur-Ferec, professeure à l’université de Brest. Déjà, près de 19 % du trait de côte sont en recul (hors Guyane), les côtes basses sableuses étant les plus affectées (37 % d’entre elles sont en recul), selon l’indicateur national de l’érosion côtière 2022.

Conséquences : entre 5 000 et 50 000 logements seront touchés par ce recul à horizon 2100, pour une valeur estimée entre 0,8 et 8 milliards d’euros, selon une estimation de 2020 du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Ce risque « climatique » a également été analysé par la start-up spécialisée Callendar, pour laquelle 6 000 à 9 000 transactions conclues entre mi-2016 et mi-2021 ont porté sur des biens qui vont devenir submersibles d’ici le milieu du siècle, et 13 000 à 19 000 des biens qui vont devenir à haut risque d’inondation.

Les sites industriels ne sont évidemment pas épargnés. De nombreux actifs sont à risque, depuis des centrales nucléaires (Blayais, Gravelines) jusqu’à des sites Seveso (17 sites à haut risque au Havre, 13 dans le secteur de Rouen) en passant par des décharges côtières.

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Franck DETCHEVERRY, Maire de Miquelon

(600 habitants), premier village français à entamer un processus de déplacement

Point de vue

« Si personne n’a les moyens de reconstruire, le déplacement est voué à l’échec »

Où en êtes-vous du déplacement de Miquelon ?

Cela fait quelques années qu’on parle du déplacement de Miquelon, mais deux éléments ont accéléré le processus. D’une part, l’Atelier des territoires, un accompagnement proposé par l’État depuis l’an dernier pour travailler sur le devenir du village. D’autre part, l’ouragan Fiona (septembre 2022) qui aurait pu provoquer d’énormes dégâts. Suite à Fiona, la Direction générale de la prévention des risques nous a dit qu’on devait absolument accélérer les choses. L’État finance donc deux résidences supplémentaires de l’Atelier pour passer à la phase pré-opérationnelle : changer le code local de l’urbanisme, lancer les études environnementales, chiffrer le passage des réseaux et le terrassement des premières parcelles… On espère démarrer les travaux dans la nouvelle zone l’an prochain.

Comment réagit la population ?

Nous avons récemment lancé un questionnaire : sur les 120 répondants, la moitié se disent prêts à bouger, ce qui nous a surpris. En tout cas, il est essentiel que nous ayons des zones sécuritaires où installer les primo-accédants, car on ne peut plus rien construire à Miquelon depuis l’adoption du PPRL en 2018. Pour l’instant, le déplacement est sur la base du volontariat, mais si un événement extrême arrive, il y aura peut-être des expropriations. La clé de la réussite du projet tient aux évaluations du fonds Barnier, qui devront être à la hauteur de la valeur des biens pour que les habitants puissent reconstruire dans la nouvelle zone. Si personne n’a les moyens de reconstruire, c’est voué à l’échec.

Quels sont les principaux obstacles ?

Le manque de main-d’œuvre et de compétences locales pour mener à bien ce projet, qui prendra au moins une vingtaine d’années. Il y a aussi la question des financements. Nous sommes d’ailleurs en train de chiffrer ce que pourrait représenter le déplacement entier du village.

Rebond

À Londres, une barrière « silencieuse » protège des milliards d’actifs

Inaugurée en 1984, la Barrière de la Tamise protège la capitale britannique du risque de submersion marine. Gérée dans le cadre du plan Thames Estuary 2100, elle doit être active jusqu’en 2032, mais pourrait voir sa durée de vie prolongée.

La Barrière de la Tamise, qui approche de ses 40 ans cette année, est parfois qualifiée de « protectrice silencieuse » tant les Londoniens et les nombreuses personnes qui se rendent chaque jour dans la capitale britannique méconnaissent son rôle clef. Élément central d’un immense système de défense contre les submersions marines (330 kilomètres de murs anti-inondation, de remblais, de barrières, de stations de pompage et de vannes), elle protège quelque 1,42 million de personnes, 586 000 logements d’une valeur de plus de 321 milliards de livres, plus de 4 000 bâtiments classés et quatre sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Sans compter des infrastructures essentielles en matière d’énergie, d’eau et de transports, dont neuf centrales électriques, le port de la Tamise, 167 kilomètres de voies ferrées, 116 gares ferroviaires ou stations de métro et plus de 2 400 kilomètres de routes.

Depuis 2012, la Barrière de la Tamise et les autres défenses liées sont gérées dans le cadre du plan Thames Estuary 2100, conçu selon l’approche dite des « trajectoires d’adaptation » (adaptation pathways) mise en valeur dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Ce plan définit une série de trajectoires possibles pour la gestion du risque de submersion marine dans l’estuaire de la Tamise et comprend un cadre décisionnel permettant de passer d’une trajectoire à une autre en fonction d’une série d’indicateurs (rythme de l’élévation du niveau de la mer, évolution des projections climatiques, etc.). « C’est une vision très stratégique et très pro-active, souligne Robert Nicholls, directeur du Centre Tyndall de recherche sur le changement climatique. Le plan a été lancé vingt ans avant la fin théorique de la durée de vie de la Barrière (2032), ce qui laisse une grande marge de manœuvre pour anticiper et planifier l’avenir. » Il est intéressant de noter que la Barrière, dont le projet a commencé suite à la terrible tempête de 1953 (307 décès en Angleterre), a été construite en intégrant une possible hausse du niveau de la mer de 50 cm. « Il n’y avait pas beaucoup de données à l’époque, mais on avait tout de même observé une hausse du niveau des marées. C’est pourquoi la Barrière a été construite avec cette sécurité de 50 cm », rappelle Robert Nicholls. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Barrière, qui s’est fermée pour la 200e fois en 2021, pourra voir sa durée de vie prolongée. Le plan initial Thames Estuary 2100 prévoit ainsi son remplacement par une autre barrière en aval d’ici 2070. « Il est basé sur une augmentation du niveau de la mer de 2 mètres d’ici la fin du siècle et il est revu tous les cinq ans pour pouvoir accélérer ou ralentir en fonction de l’évolution de la situation », indique Robert Nicholls. L’idée est d’éviter le risque de surinvestir trop tôt, mais aussi celui de ne pas investir assez à temps. « On est vraiment sur une corde raide entre le fait d’être trop ou pas assez préparé. Il est très difficile de savoir à quel point il faut être prudent, car aucun modèle informatique ne peut définir le niveau de risque acceptable. C’est une question sociétale », assure le directeur du Centre Tyndall.