Santé mentale : le grand sacrifice

28 mars 2022  | Par Jessica BERTHEREAU
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Tandis que la demande de prise en charge des souffrances psychiques explose, l’offre dysfonctionne : la pandémie a mis en lumière la crise qui affecte les structures de soin depuis des années. Face à l’urgence, des réflexions s’amorcent pour rebâtir un système de santé coordonné et efficient.

La pandémie de Covid-19 a levé le voile sur le déficit de considération de la santé mentale, pourtant « fondement du bien-être d’un individu et du bon fonctionnement d’une communauté », d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Alors que la classification des troubles psychologiques et psychiatriques a toujours été délicate, le concept de santé mentale permet d’intégrer trois dimensions : la santé mentale positive, la détresse psychologique et les troubles psychiatriques. « La logique catégorielle, selon laquelle soit on a une maladie mentale, soit on n’en a pas, est périmée, explique Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales et philosophie de la santé mentale au CNRS. C’est maintenant une approche de spectre dimensionnel qui domine, depuis le bien-être jusqu’aux troubles psychiatriques caractérisés, en passant par le mal-être, la souffrance psychologique ou la manifestation de quelques symptômes psychiatriques. »

L’effet miroir de la crise sanitaire

« En mars et avril 2020, les niveaux d’anxiété et de dépression enregistrés dans la population générale étaient plus élevés dans presque tous les pays par rapport aux années précédentes », rapporte l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un constat corroboré par le rapport de l’OMS publié en mars 2022, qui précise que la prévalence mondiale des troubles anxieux et de la dépression a augmenté de 25 % partout dans le monde  (1). En France, l’enquête CoviPrev, dédiée au suivi de l’évolution de la santé mentale de la population depuis mars 2020, précise que 18 % de la population montrent des signes d’un état dépressif et 23 % des signes d’un état anxieux  (2).

Cette hausse s’est révélée hétérogène au sein de la population, touchant surtout les catégories socialement défavorisées et les jeunes. Alors qu’un doublement des syndromes dépressifs chez les 15-24 ans a été constaté au cours du premier confinement, le phénomène ne connaît pas de baisse marquée depuis le début de la pandémie.

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Marion LEBOYER

Directrice générale de la fondation FondaMental, coautrice du livre Réinventer notre santé mentale avec la Covid-19 (Odile Jacob, 2021)

Point de vue

« Il faut absolument informer le grand public du lien entre infection et maladie mentale »

Vous avez été lauréate du Grand prix de l’Inserm en 2021. Quelle est la situation de la recherche en psychiatrie ?
C’est le parent pauvre de la recherche.

Elle ne représente que 2 % à 4 % du budget de la recherche biomédicale, alors que la psychiatrie est le premier poste de dépenses pour les maladies chroniques. Or, l’innovation et la recherche en psychiatrie permettent d’améliorer la prise en charge des patients en œuvrant dans trois directions : l’amélioration de la précision du diagnostic,la compréhension des mécanismes biologiques qui sous-tendent les maladies mentales et le développement de stratégies thérapeutiques innovantes.

Le lien entre infection et maladie mentale a-t-il été suffisamment pris en compte lors de la crise de la Covid-19 ?

Trop peu. Il a été ignoré parce que les maladies mentales font encore trop souvent l’objet de fausses représentations. Or, il est bien établi que ces pathologies sont des maladies du système, pas seulement des affections du cerveau ou de l’âme. Nous savons aussi que les infections font le lit de certaines pathologies mentales. C’était observable après chaque pandémie. Et les grandes cohortes scandinaves, qui ont des données depuis la naissance, ont montré que, après une hospitalisation pour infection, le risque de développer une dépression augmentait de plus de 60 %. Après une infection par la Covid, quelle qu’ait été la gravité, environ une personne sur cinq risque de développer une pathologie neuropsychiatrique (dépression, troubles anxieux sévères, troubles du sommeil, troubles cognitifs…).

Que faire pour mieux prendre en charge ces conséquences d’un Covid long ?

Il faut absolument informer le grand public, qui n’a pas conscience de ce lien entre inflammation, infection et survenue de maladie mentale. Pour cela, le numérique est extrêmement rapide et efficace, à la fois pour transmettre des informations, diffuser des outils d’auto-aide et avoir accès à des professionnels de santé mentale. Je me bats depuis un an pour trouver les fonds pour construire une plateforme qui permettrait cela pour les personnes atteintes de Covid long, à l’image de celle que nous avons lancée pour les étudiants avec la région Île-de-France. Il faut absolument que ces personnes soient diagnostiquées et prises en charge, car les maladies mentales se soignent d’autant mieux qu’elles sont prises en charge tôt.

Rebond

L’innovation au service de la santé mentale

Les innovations, un levier majeur en termes de prévention et de dépistage précoce des problèmes de santé psychique ?

Pour Xavier Briffault, chercheur au CNRS et spécialiste de l’e-santé, le plus grand potentiel d’innovation se trouve dans les objets connectés : « Le recueil passif de données sur la motricité, la prosodie, le rythme cardiaque ou encore la fréquence respiratoire et leur analyse via des modèles théoriques de quasi-causalité vont permettre à chacun de comprendre son propre fonctionnement de façon extrêmement fine, et ainsi de pouvoir agir très efficacement sur les paramètres générateurs de mal-être. »
Une révolution déjà en cours au niveau de la recherche fondamentale, dont les applications commerciales devraient se développer au cours des prochaines années. « Pour une prise en charge précoce, il y a deux solutions : s’appuyer sur d’autres professionnels que les psychiatres, comme les psychologues, et innover en développant des outils complémentaires », argumentent pour leur part Vincent Diebolt et Isabella de Magny, coauteurs d’une note sur ce sujet  (1). Ces outils peuvent être utiles en matière de prévention, mais aussi pour personnaliser et améliorer la prise en charge. » Les investissements dans les thérapies digitales au niveau mondial, à hauteur de 8 milliards de dollars en 2018 et 2019, « témoignent d’une prise de conscience du potentiel de ces solutions de nouvelle génération », relèvent-ils.

Parmi les précurseurs se trouvent les applications mobiles comme celle lancée par la psychiatre Fanny Jacq, Mon Sherpa (prix de l’innovation du Congrès de l’Encéphale 2021). « L’ambition est de dépoussiérer la santé mentale et de faire de la prévention », résume la directrice de la santé mentale chez Qare. Mon Sherpa soumet un questionnaire aux utilisateurs puis,
en fonction des réponses, propose des programmes d’aides spécifiques (sommeil, anxiété, confiance en soi…), voire conseille de prendre contact avec un professionnel. De son côté, l’assurtech Alan a lancé une « solution de bien-être mental à destination des salariés et managers de l’entreprise » à l’automne 2021, avec une application mobile s’appuyant sur « du contenu pédagogique ciblé et des techniques issues des thérapies comportementales et cognitives, dont l’efficacité est scientifiquement prouvée », affirme Sébastien Fredeau, en charge d’Alan Mind. « Beaucoup de travaux scientifiques ont évalué des applications mobiles, montrant qu’elles sont efficaces, parfois autant (mais pas plus) que les actions humaines, surtout pour des interventions psychothérapiques courtes et structurées », rapporte Xavier Briffault.

Cependant, la santé mentale demeure un des domaines dans lequel le déséquilibre entre le besoin et l’offre numérique est très important. En France, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique et en Irlande, l’utilisation moyenne des outils d’e-santé mentale par les personnes souffrant d’un problème de santé mentale ainsi que les professionnels n’est actuellement que de 8 %. Le niveau d’utilisation est le plus bas en France (1 %) et le plus élevé aux Pays-Bas (15 %).

 

Références :

1 – Note de l’Institut Sapiens, L’Innovation au secours de notre santé mentale, septembre 2021.