Finance : du social en stock

31 mars 2021  | Par Séverine LEBOUCHER
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Depuis peu, les enjeux sociaux montent en puissance dans le discours des investisseurs et dans les fonds institutionnels, sortant du pré carré historique de la finance solidaire. Leurs moyens d’action sont multiples… et loin de faire l’unanimité. La finance peut-elle vraiment devenir plus sociale ?

Ces deux dernières années, la vague « ESG » déferle sur le monde de la finance : les investisseurs, en particulier les plus gros institutionnels (compagnies d’assurances, caisses de retraite, gestionnaires d’actifs…), multiplient leurs promesses de mieux prendre en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. L’attention qu’ils portent aux problèmes de gouvernance est très ancienne. Les sujets environnementaux, en particulier climatiques, sont quant à eux au centre des préoccupations depuis l’accord de Paris, en 2015. Mais le troisième pilier de l’ESG – le « S » – gagne lui aussi en visibilité ces derniers mois. Même Larry Fink, le patron du plus grand gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock, a mis en avant dans sa lettre annuelle, envoyée début janvier aux dirigeants d’entreprise, des enjeux comme « la justice raciale », « les inégalités économiques » ou encore « l’engagement auprès des collectivités ». « Plus votre entreprise pourra témoigner de son ambition de créer de la valeur, à la fois pour ses clients, ses collaborateurs et les collectivités au sein desquelles elle exerce ses activités, plus elle sera en mesure d’être compétitive et de générer des bénéfices durables pour ses actionnaires », a ainsi écrit Larry Fink. La question sociale est également abordée par d’autres investisseurs à travers différents angles, allant des droits humains à la santé au travail, en passant par la parité, le handicap ou encore la création d’emplois. La finance, souvent accusée d’être sans scrupules vis-à-vis des populations fragiles lorsqu’il s’agit de faire du profit, entame-t-elle sa révolution ?

Pour les investisseurs, l’une des manières de davantage s’exposer au volet « S » de l’ESG est de financer des projets socialement positifs. Ils le font depuis plus de vingt ans via la finance solidaire en ciblant des structures non cotées de l’économie sociale et solidaire telles que les entreprises d’insertion. Aujourd’hui, ce périmètre s’étend, à l’initiative de gérants comme Mirova, CPR AM, Sycomore ou encore Meeschaert AM.

« À côté de ces initiatives, nous voyons apparaître des fonds plus traditionnels, investis dans des entreprises cotées, qui poursuivent eux aussi un objectif social, qu’il s’agisse de la création d’emplois en France, de la lutte contre les inégalités, de l’amélioration des conditions de travail ou encore de la parité femmes-hommes », met en avant Alexis Masse, président du Forum pour l’investissement responsable.

La crise sanitaire a fortement accru les émissions de social bonds de la part des acteurs publics, car il a fallu refinancer les mesures prises pour le soutien à l’emploi, telles que le chômage partiel.

Tanguy Claquin /// Responsable mondial Sustainable Banking chez Crédit Agricole CIB

De manière similaire, sur le marché de la dette, les investisseurs s’intéressent de plus en plus aux obligations dites « sociales ». Construites sur le modèle des green bonds, ces social bonds promettent un fléchage des sommes levées vers des « projets sociaux ». La taille de leur marché à l’échelle mondiale a presque quintuplé l’an dernier, passant de 37 à 167 milliards de dollars (1). « La crise sanitaire a fortement accru les émissions de social bonds de la part des acteurs publics, car il a fallu refinancer les mesures prises pour le soutien à l’emploi, telles que le chômage partiel, précise Tanguy Claquin, responsable mondial Sustainable Banking chez Crédit Agricole CIB. Mais on trouve aussi sur ce marché des entreprises privées, qui financent par exemple des dispositifs de protection sociale pour leurs salariés dans les pays émergents ou encore des projets immobiliers dédiés à la santé. »

Définir un langage commun autour de l’impact social

Pour ne pas en rester aux simples déclarations d’intention et éviter les accusations de social washing, les investisseurs, en particulier les assets managers qui conçoivent ces fonds durables, doivent cependant être capables de mesurer concrètement l’impact social promis par leurs placements. Selon l’objectif visé, il peut s’agir de comptabiliser le nombre de CDI créés ou de bénéficiaires d’une aide sociale, de suivre l’évolution de l’écart entre le salaire le plus élevé et celui le plus bas au sein d’une même entreprise, ou encore de mesurer le niveau de féminisation des instances dirigeantes. Au-delà de la performance financière, c’est sur les progrès de ces indicateurs sociaux que le succès de l’investissement sera jaugé, ce qui soulève bien des questions. Tout d’abord, la nature sociale d’un projet, surtout lorsqu’il est mené par une entité à but lucratif, n’est pas facile à établir. « Favoriser l’accès à un bien essentiel, tel que la nourriture ou l’énergie, peut être vu comme un projet social s’il cible la partie de la population qui en a le plus besoin. Mais comment définir le niveau de revenus à partir duquel un ménage entre dans cette cible ? Il en va de même pour la création d’emplois : toutes les créations d’emplois ont-elles un caractère social quel que soit le secteur d’activité ? », s’interroge Tanguy Claquin. Les investisseurs voudraient disposer d’un « dictionnaire » des activités socialement positives, avec des seuils précisément définis. « De même qu’il existe une taxonomie environnementale, l’Union européenne est en train de travailler à l’élaboration d’une taxonomie sociale, fait valoir Thierry Philipponnat, directeur de la recherche et du plaidoyer chez Finance Watch et membre du groupe de travail qui planche sur cette nouvelle taxonomie. Son objectif sera de définir un langage commun à travers l’Europe sur ce qu’est une activité sociale. Il sera ainsi possible de savoir quel pourcentage de l’encours d’un fonds est investi dans de telles activités. »

Plus largement, l’approche quantitative sur laquelle les acteurs financiers font reposer la mesure d’impact présente des limites. « Les gérants d’actifs ont besoin de critères objectifs pour évaluer et sélectionner les entreprises dans lesquelles ils investissent, alors que l’analyse d’une question sociale, telle que le respect des droits humains, est par nature très qualitative », souligne Maddalena Neglia, responsable du bureau Mondialisation et droits humains au sein de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), qui a créé il y a vingt ans un fonds sur ces sujets avec La Banque Postale AM.

Il faut faire attention aux effets pervers que peut générer le fait d’associer produits financiers et projets sociaux : pour mesurer l’impact social, le financier tend à se focaliser sur une seule dimension et à faire abstraction d’autres facteurs tout aussi importants.

Mireille Bruyère /// Maîtresse de conférences en sciences économiques à l’université de Toulouse

Pour certains observateurs, une trop grande financiarisation de la sphère sociale serait contre-productive. « Il faut faire attention aux effets pervers que peut générer le fait d’associer produits financiers et projets sociaux : pour mesurer l’impact social, le financier tend à se focaliser sur une seule dimension et à faire abstraction d’autres facteurs tout aussi importants, met en garde Mireille Bruyère, maîtresse de conférences en sciences économiques à l’université de Toulouse. Par exemple, dans le domaine de l’action sociale, il existe des instruments financiers qui lient la rémunération de l’investisseur à la réduction du nombre de placements en foyer d’enfants en difficulté, sans prendre en compte le fait que, dans certains cas, le placement est la meilleure solution. Derrière le social, se cachent des situations humaines concrètes qui ne peuvent se résumer dans un chiffre. »

Enfin, même si leur nombre croît, les investisseurs qui mettent en avant cette fibre sociale restent une minorité dans l’univers des marchés financiers. En France, les fonds sur des thématiques sociales ne dépassent pas 12 milliards d’euros d’encours cumulés selon Novethic, contre 77 milliards pour les fonds environnementaux, sur un total de 315 milliards d’euros d’encours pour le marché des fonds d’investissements durables. Quant au marché des social bonds, malgré sa forte progression, il reste cinq fois moins développé que celui des green bonds. Les raisonnements strictement financiers continuent de largement dominer les marchés. Les difficultés actuelles d’une entreprise comme Danone, pourtant perçue comme pionnière en matière d’ESG dans l’univers des sociétés cotées du fait notamment de son adoption du statut d’entreprise à mission, l’illustrent bien : confronté à une baisse de ses marges et à un déficit de compétitivité, le géant de l’agroalimentaire français est mis en demeure par deux de ses actionnaires – des fonds d’investissement – de redresser la barre rapidement. L’entreprise, qui avait émis 300 millions d’euros d’obligations sociales en 2018 pour financer des projets tels que l’amélioration de la couverture santé des salariés, l’accompagnement local des agriculteurs ou encore le financement de PME dans le secteur de la santé, a annoncé fin 2020 près de 2 000 suppressions d’emplois. « La vérité, c’est que, société à mission ou pas, le groupe Danone est, comme toutes les multinationales cotées, prisonnier du cours de Bourse et des marchés financiers. D’où l’annonce d’un plan de restructuration en vue de donner un signal aux actionnaires », constate ainsi Pierre Liret dans une analyse (2) pour le think tank ISBL, dédié à l’économie sociale et solidaire.

Un appel à la transparence des données fournies

À défaut d’investir massivement dans des projets spécifiquement sociaux, les investisseurs abordent davantage le sujet par l’angle des risques. Ils veulent éviter de voir leur nom associé à de grands scandales. « On note une évolution récente de la sensibilité des investisseurs sur les questions de droits humains et ils sont à l’écoute lorsqu’on leur explique qu’un de leurs placements est impliqué dans un cas de violation. Plusieurs bailleurs internationaux ont par exemple été interpellés lorsque l’activiste hondurienne Berta Cáceres a été assassinée pour avoir dénoncé la construction d’un barrage qu’ils finançaient, témoigne Maddalena Neglia. Au-delà de leur réputation, c’est aussi leur responsabilité légale qui peut être mise en cause, même s’il est rare de les voir sur les bancs des accusés. » Loin des tribunaux, la mobilisation des investisseurs institutionnels et des fonds d’investissement se matérialise surtout par des échanges informels avec les dirigeants. Grâce à leur statut d’actionnaires ou de créanciers, ils assurent pouvoir infléchir de l’intérieur les pratiques des entreprises, au moyen d’actions dites « d’engagement ». « Dans le cadre de la coalition Shareholders for Change, nous poussons par exemple H&M à conditionner la rémunération variable de ses dirigeants à la mise en place de contrats de sous-traitance à des tarifs justes vis-à-vis de ses fournisseurs, relate Aurélie Baudhuin, directrice générale déléguée de Meeschaert AM. Les échanges que nous avons avec les ONG notamment nous montrent que les pratiques n’ont en effet pas suffisamment changé dans l’industrie textile depuis le drame du Rana Plaza, cet immeuble où travaillaient un grand nombre de sous-traitants des grandes marques de prêt-à-porter et qui s’est effondré en 2013. » Plus récemment, c’est aussi le scandale du travail forcé des Ouïghours en Chine qui a mobilisé les acteurs financiers : une coalition, l’Investor Alliance for Human Rights, a publié à l’été 2020 un guide pour aider les investisseurs à intervenir auprès d’une cinquantaine de multinationales ayant recours à des sous-traitants impliqués.

Des efforts louables, mais difficiles à systématiser. Même s’ils sont d’importants bailleurs de l’essentiel des multinationales, ces investisseurs engagés peinent à se faire entendre sur ces sujets et à obtenir des informations pertinentes pour leur analyse des risques.

Il faut accélérer les travaux en matière de transparence des entreprises sur les sujets sociaux […]. Les informations transmises ne doivent pas se limiter à l’entreprise elle-même, elles doivent aussi inclure l’ensemble de sa chaîne de sous-traitance. 

Alexis Masse /// Président du Forum pour l'investissement responsable

« Il faut accélérer les travaux en matière de transparence des entreprises sur les sujets sociaux, en poursuivant notamment les efforts réalisés par la Workforce Disclosure Initiative, une plateforme de reporting internationale créée par l’ONG britannique Share Action, exhorte Alexis Masse. Les informations transmises ne doivent pas se limiter à l’entreprise elle-même, elles doivent aussi inclure l’ensemble de sa chaîne de sous-traitance. Le régulateur peut y contribuer, comme c’est le cas en France – et bientôt en Europe – avec la loi sur le devoir de vigilance. » À l’échelle internationale aussi, ces appels à réglementairement « forcer » une telle transparence se multiplient : en avril 2020, une centaine d’investisseurs institutionnels et de gestionnaires d’actifs, là encore mobilisés par l’Investor Alliance for Human Rights, ont par exemple appelé à des mesures contraignantes pour que les entreprises publient des données précises sur leur respect des droits humains.

Envisager des engagements sous forme d’exclusion ?

L’autre grande limite de cette stratégie d’engagement tient à la confidentialité des échanges entre les investisseurs institutionnels – et leurs asset managers – et les entreprises incriminées. Difficile, dans ce contexte, d’évaluer les effets concrets des efforts dont se prévalent les premiers. La bonne foi des démarches est dès lors questionnée. « Même si l’engagement peut être sincère chez certains acteurs, il ne faut pas oublier que le recours à la sous-traitance, à l’origine de beaucoup d’abus sociaux, reste une manière pour l’entreprise et son actionnaire de réduire les coûts du travail tout en se défaussant sur le fournisseur en cas de problème », souligne Gunther Capelle-Blancard, professeur d’économie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mettre ces débats sur la place publique en demandant un vote des autres actionnaires non impliqués dans des démarches d’engagement lors de l’assemblée générale de l’entreprise pourrait être une solution pour graver dans le marbre des progrès sociaux. Mais, à ce stade, un tel dispositif reste difficile à mettre en œuvre. « Un ou plusieurs actionnaires minoritaires peuvent déposer une résolution pour obliger une entreprise à changer ses pratiques, encore faut-il que le sujet de la résolution entre bien dans les prérogatives de l’AG et ne relève pas exclusivement de la responsabilité du conseil d’administration, ce qui peut se révéler difficile sur des questions sociales », relève Aurélie Baudhuin.

Face au manque de lisibilité de cette stratégie d’influence, les investisseurs sont poussés par l’opinion publique à prendre des engagements plus francs, sous forme d’exclusions : ils devraient tout simplement désinvestir des entreprises qui violent les droits humains et menacent la société. Or les constats que ce n’est pas le cas sont nombreux et tout aussi variés que les combats des ONG. L’une d’elles, Amazon Watch, a récemment épinglé six grandes institutions financières américaines, au premier rang desquelles BlackRock, pour avoir financé à hauteur de 18 milliards de dollars neuf entreprises impliquées dans des violations des droits des peuples indigènes d’Amazonie (3). Même dans un domaine comme les armes controversées, où les exclusions sont plus largement pratiquées, l’ONG PAX a calculé que ce sont encore 748 milliards de dollars qui ont afflué vers les producteurs d’armes nucléaires entre 2017 et 2019, là encore en provenance des plus grands gestionnaires d’actifs tels Vanguard et BlackRock (4).

Transition énergétique : le rappel à l’ordre des crises sociales

À défaut de changer pour des raisons éthiques, les acteurs de la finance pourraient toutefois évoluer sous la contrainte économique. En effet, selon les investisseurs, le lien entre enjeux sociaux et performance économique est de plus en plus visible. « Même si ce n’est pas un sujet nouveau pour certains, la crise sanitaire a rendu évident aux yeux des investisseurs qu’il existe une interdépendance entre les problématiques sociales et de santé, celles d’environnement et de biodiversité, et la performance économique et financière », assure Laetitia Tankwe, conseillère du président de l’Ircantec et membre du conseil d’administration des PRI (Principes pour l’investissement responsable). Ainsi, réduire le risque financier d’un investissement, c’est aussi s’assurer que les conditions sociales offertes par l’entreprise sont bonnes. « Pendant la crise sanitaire, nous avons constaté que les entreprises disposant des politiques sociales les plus robustes, par exemple en matière de dialogue avec les salariés, ont été les plus résilientes, précise Aurélie Baudhuin. De même, celles qui permettent à leurs fournisseurs de proposer des conditions de travail et des rémunérations justes ont pu compter sur une chaîne de valeur plus pérenne. » Une analyse renforcée à plus long terme par les impératifs de la transition énergétique, actuellement au cœur des préoccupations des investisseurs.

Les crises sociales ont rappelé aux investisseurs que les engagements en matière de transition énergétique ne pourront pas être tenus sans une prise en compte des questions de justice sociale.

Laetitia Tankwe /// Conseillère du président de l'Ircantec

« Les crises sociales, à l’image du mouvement des Gilets jaunes en France, ont rappelé aux investisseurs que les engagements en matière de transition énergétique ne pourront pas être tenus sans une prise en compte des questions de justice sociale, qu’il s’agisse de l’impact sur les salariés, sur les consommateurs ou sur les populations locales, entre autres », relève Laetitia Tankwe. La transition énergétique – et les enjeux financiers chiffrés en centaines de milliards de dollars qui y sont attachés – sera « juste » ou ne sera pas. Ce qui pousse les investisseurs à se préoccuper de questions comme la formation des salariés dans les secteurs menacés ou le dialogue avec les communautés locales.

Jusqu’à présent, ces enjeux économiques liés aux questions sociales n’allaient pas jusqu’à se refléter dans les cours de Bourse. Une étude de 2017 avait par exemple échoué à trouver un impact significatif de l’effondrement du Rana Plaza sur la valorisation des entreprises cotées du secteur textile (5). Pourtant, là aussi, les choses tendraient à changer depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Si l’impact du facteur « S » n’a pas été à ce stade spécifiquement mesuré, de multiples études ont toutefois mis en relief la surperformance financière des titres les plus vertueux sur le plan ESG en général. Selon BlackRock, par exemple, parmi une sélection représentative d’indices responsables à l’échelle mondiale, 81 % ont davantage progressé en 2020 que leurs équivalents non ESG. Un pourcentage qui s’établit même à 94 % si l’on ne considère que le premier trimestre 2020, au moment du plongeon des marchés financiers. MSCI a ainsi calculé qu’en mars 2020 son indice d’actions internationales socialement responsables a perdu trois points de pourcentage de moins en termes de performance que son équivalent non ESG (6).

Lorsqu’on étudie sur une base statistique le comportement des indices sur la période de crise, on s’aperçoit qu’il n’existe pas de différence de performance significative entre les indices ESG et les autres.

Gunther Capelle-Blancard /// Professeur d'économie à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Mais ces conclusions, qui manquent encore de recul, sont d’ores et déjà remises en question par certains académiques. « Lorsqu’on étudie sur une base statistique le comportement des indices sur la période de crise (7), on s’aperçoit qu’il n’existe pas de différence de performance significative entre les indices ESG et les autres », conteste ainsi Gunther Capelle-Blancard.

Une incompatibilité structurelle ?

Pour les observateurs les plus dubitatifs, si l’aiguillon de la performance financière ne fonctionne pas si bien que cela, c’est peut-être tout simplement parce que les grands enjeux sociaux ne peuvent pas être résolus à la simple initiative de la finance. « Est-ce vraiment aux acteurs financiers de changer leurs méthodes pour rendre le monde plus durable ou n’est-ce pas une prérogative de l’État que l’on confie au secteur privé, au risque que ce dernier utilise des critères édulcorés pour y parvenir ? », interroge Gunther Capelle-Blancard. La transformation nécessaire du système pour répondre aux enjeux sociaux serait ainsi trop profonde. « Dans certains cas, c’est le modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur qui est tout simplement incompatible avec le respect des droits humains », soulève Maddalena Neglia. En somme, tant que l’État ne s’en mêlera pas, la fast fashion continuerait d’exploiter les sous-traitants asiatiques, les projets miniers de menacer les populations locales et il existerait toujours des investisseurs pour les financer. « Lorsque les marchés financiers abordent les questions écologiques ou sociales, ils le font avec leur prisme de la rentabilité. Ce n’est pas eux qui peuvent agir en profondeur sur les structures de production mondialisées », renchérit Mireille Bruyère. Même si leurs moyens d’action sont limités, même s’ils ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des marchés financiers, les investisseurs engagés y croient : la place prise en cinq ans par les questions climatiques dans les réflexions stratégiques de l’ensemble de la finance est indéniable, pourquoi n’en irait-il pas de même des questions sociales ?

 

Références :

  1. Amundi, « Social bonds: financing the recovery and long-term inclusive growth », novembre 2020.
  2. « Danone ou l’impasse de l’entreprise à mission », 26 novembre 2020.
  3. « Complicity in Destruction III: How global corporations enable violations of Indigenous peoples’ rights in the Brazilian Amazon », octobre 2020.
  4. « Shorting our security- Financing the companies that make nuclear weapons », juin 2019.
  5. Jacobs E., Singhal V., « The Effect of the Rana Plaza disaster on shareholder wealth of retailers », Journal of Operations Management, mars 2017.
  6. « MSCI ESG Indexes during the coronavirus crisis », avril 2020.
  7. Capelle-Blancard, Gunther, Desroziers, Adrien and Zerbib, Olivier David, « Socially Responsible Investing Strategies under Pressure: Evidence from COVID-19 (January 01, 2021) ».

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