Banque : Ombres et lumières de la dérégulation

7 octobre 2025  | Par Séverine LEBOUCHER
L'actuariel // économies // Banque : Ombres et lumières de la dérégulation

Dix-sept ans après la chute de Lehman Brothers, les appels à un assouplissement du cadre prudentiel bancaire se multiplient. Dans l’Amérique de Donald Trump, on parle sans tabou de dérégulation. En Europe, ce sont des travaux de « simplification » qui sont lancés, avec la préservation de la stabilité financière en ligne de mire. Un exercice d’équilibriste.

Septembre 2008. Le système bancaire mondial, confronté à la faillite de Lehman Brothers, découvre avec effarement son insondable fragilité. S’ouvre alors une phase de durcissement réglementaire sans précédent, avec un mot d’ordre : plus jamais cela. Dix-sept ans plus tard, ce cadre prudentiel n’a pas atteint l’âge de la majorité, mais est déjà la proie de multiples attaques. Pourtant pionnière dans la mise en œuvre de l’accord du Comité de Bâle de décembre 2010 (1) – la première mouture de Bâle 3 –, l’Union européenne (UE) a proposé le 17 juin un allègement des contraintes portant sur la titrisation, à savoir l’instrument qui a servi à disséminer la crise des subprimes américaine à travers le monde. Cinq jours auparavant, elle avait décidé de reporter d’un an supplémentaire l’entrée en vigueur du dernier pan manquant de Bâle 3, celui encadrant les risques de marché. La revue fondamentale du portefeuille de négociation (2) (FRTB, en anglais) – un texte majeur pour les grandes banques d’investissement – n’est plus attendue que pour 2027, soit vingt ans tout juste après le début de la crise des subprimes. À moins qu’elle ne soit tout simplement abandonnée. « Nous sommes engagés dans une course vers le bas qui ne semble pas vouloir s’arrêter », se désespère Thierry Philipponnat, un ancien banquier qui a participé à l’élaboration du cadre prudentiel européen post-crise à travers l’ONG Finance Watch qu’il a fondée en 2011 et vient de quitter.

L’UE est loin d’être une exception en la matière. Ses récentes initiatives s’inscrivent dans un mouvement d’assouplissement réglementaire – d’aucuns parlent même de « dérégulation » – quasi généralisé.

Vous souhaitez lire la suite de l’article ?

Achat de l'article

Acheter

Abonnement

S'abonner

Mon compte

Focus

Le comité de Bâle mis à mal ?

Les attaques du multilatéralisme assénées par Donald Trump commencent à rejaillir sur l’instance internationale en charge de la stabilité du système bancaire.

« La stabilité financière est un bien public mondial qui nécessite une coopération transfrontière. » Ce sont les mots prononcés par Pablo Hernández de Cos l’an dernier à l’occasion des 50 ans du Comité de Bâle, dont il était alors le président. Au gré des crises financières, cette instance basée en Suisse a su s’imposer sur la scène internationale : créée en 1974 par 10 pays à la suite d’une crise du marché des changes, elle-même consécutive à la faillite de la banque Herstatt en Allemagne, elle compte désormais 45 membres issus de 28 juridictions. Mais cette coopération fait face, comme toutes les instances internationales, aux vents contraires soufflant depuis Washington. « L’administration Trump examine en ce moment la participation des États-Unis à l’ensemble des organisations internationales, et il est probable que le Comité de Bâle soit très bas dans ses priorités, s’inquiète Véronique Ormezzano, présidente du CRSF. S’ils sortaient, le Comité perdrait une partie de ses ressources et, surtout, sa crédibilité. » Au point de remettre en question son existence ?

Pour l’instant, ces inquiétudes ne se sont pas concrétisées et les réunions se poursuivent. « Les participants du Comité assurent que les contacts sont maintenus avec leurs homologues américains », indique Pervenche Berès, ancienne députée européenne aujourd’hui présidente du think tank AEFR. La menace pourrait cependant être plus sournoise. « Au printemps, des rumeurs ont couru sur un possible démantèlement du groupe de travail du Comité de Bâle sur le risque climatique, souligne Julia Symon, responsable de la recherche et du plaidoyer au sein de l’ONG Finance Watch. Cela n’a finalement pas été le cas, mais le focus de ce groupe a changé : il ne se concentre désormais plus que sur le sujet des événements climatiques extrêmes. »

Les régulateurs européens ont bien conscience de ce dialogue sous contraintes : malgré les questionnements autour de la finalisation de Bâle 3, ils se gardent de rouvrir le dossier au niveau international. « Nous nous retrouverions dans une situation inconfortable où il faudrait retravailler l’armature bâloise sans connaître le point d’arrivée de négociations longues et complexes », justifiait Emmanuel Rocher, directeur des affaires internationales de l’ACPR, lors d’une conférence mi-juin. Maintenir la ligne ouverte apparaît comme une priorité. « Un cadre multilatéral ne s’invente pas sur un coin de nappe, donc quand il existe des mécaniques déjà bien rodées, on n’a aucun intérêt à créer une instance alternative, prévient Pervenche Berès. Mais il faut en même temps s’assurer qu’on dispose bien d’un lieu pour discuter des risques émergents, comme celui des cryptos ou de la finance non bancaire. » À défaut, la prochaine crise rappellera à l’ensemble des protagonistes l’importance de la coopération transfrontière.