Agriculture : élever demain

28 mars 2023  | Par Jessica BERTHEREAU
L'actuariel // économies // Agriculture : élever demain

La survie de l’élevage français est compromise. Déficit de main-d’œuvre, baisse du cheptel, conjoncture tendue, climat… le secteur est sommé de se réinventer s’il veut assurer son avenir. Mais une condition s’impose pour y parvenir : tous les acteurs, producteurs, distributeurs et consommateurs, doivent s’impliquer de manière coordonnée.

Comment assurer un avenir durable à l’élevage en France ? Confronté à d’importants défis climatiques et économiques, ce dernier est sommé de se transformer. D’une manière générale, l’ensemble du secteur agricole a besoin d’investissements dans trois domaines clés : expansion, modernisation et innovation, adaptation au changement climatique. Le déficit de financement est chiffré entre 1,3 et 1,7 milliard d’euros par an, selon une étude de la plateforme Fi-Compass publiée à l’été 2020  (1). Pour le Plan stratégique national (PSN) – déclinaison française de la Politique agricole commune (PAC) pour la période 2023-2027 –, il existe un véritable «consensus sur l’objectif de maintien de l’élevage ».

Il faut rappeler ici que les « filières d’élevage ont un poids économique non négligeable, avec 172 000 exploitations, 703 000 équivalents temps plein et 36 % de la production agricole en valeur en France», rappelle Marie-Pierre Ellies-Oury, professeure à Bordeaux Sciences Agro et chercheuse associée à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Sans compter « le rôle essentiel de l’élevage dans les territoires ruraux où il rend des services de nature sociale et patrimoniale», ajoute-t-elle. Mais la survie et le maintien de l’élevage ne seront possibles, souligne le PSN, qu’à condition «d’améliorer les conditions de production et la résilience des systèmes, de privilégier le recours au pâturage et l’autonomie protéique des exploitations, de veiller à l’adaptation des produits animaux à la demande et de chercher une meilleure valorisation sur le territoire, contribuant à une recherche d’efficacité économique et climatique».

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Point de vue

« Notre marque “ Signature des éleveurs girondins” répond aux attentes sociétales et environnementales »

Comment s’est développée votre stratégie « de la fourche à la fourchette » ?

C’est au moment de la première crise de la vache folle, en 1996, que notre coopérative a décidé d’investir le marché local en lançant la marque « Signature des éleveurs girondins ». Nous sommes ensuite devenus abatteurs, distributeurs de gros, puis distributeurs de détail en ouvrant notre premier point de vente directe en 2002. Aujourd’hui, nous avons cinq points de vente directe, dans lesquels nous distribuons environ 40 % de notre production, ainsi que notre propre abattoir, ouvert en 2021. Ce dernier n’est pas appréhendé comme un élément autonome (il n’est pas encore à l’équilibre avec le tonnage actuel), mais comme un outil qui nous permet d’assurer le développement
et la pérennité de notre filière.

Quels avantages tirez-vous de cette vision pionnière du circuit court ?

Ces 25 dernières années, nous nous sommes structurés autour de principes qui sont aujourd’hui à la base des attentes sociétales
et environnementales : production locale, valeur ajoutée équitablement distribuée entre les producteurs et la coopérative, abattoir à proximité du lieu de production pour réduire l’empreinte carbone et améliorer le bien-être animal, excellent rapport qualité/prix… Dans un contexte difficile, cela nous donne d’importantes possibilités de développement, par exemple avec les supermarchés de la région et la restauration collective.

Votre démarche est-elle reproductible ?

Nous suscitons beaucoup d’intérêt, mais, pour l’instant, il n’existe aucun autre système entièrement maîtrisé par les producteurs à ce niveau d’activité (15 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022). C’est peut-être difficile à répliquer, parce que cela demande du temps, une philosophie particulière et des capitaux. Une coopérative peut redistribuer ses résultats à ses sociétaires, mais nous avons toujours choisi de les capitaliser. Cela nous a permis d’avoir les moyens de nos ambitions : nous avons ainsi financé à 65 % l’abattoir, le reste ayant été financé
par les collectivités régionales et locales et l’Union européenne (5,2 millions d’euros au total).

Rebond

Le système indiciel, une norme contestée

Depuis le 1er janvier 2023, tous les éleveurs peuvent être couverts sur la base d’un système indiciel. Cependant, ce dernier n’a pas été à la hauteur des attentes des éleveurs lors de la sécheresse de 2022. Lesquels se trouvent sans recours.

La réforme du système assurantiel des récoltes, motivée par la hausse des aléas climatiques et la volonté de mieux répartir le risque, est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Pour les prairies, le système basé sur le fonds des calamités agricoles n’a jamais été satisfaisant. « Ce dispositif s’appuyait sur des mesures de terrain et des données issues de différentes sources (satellites, météorologie, modélisation de la croissance de l’herbe, bilans fourragers). Il était jugé très lourd par l’ensemble des acteurs, si bien qu’en 2009 les pouvoirs publics ont demandé aux assureurs de développer un produit d’assurance spécifique aux prairies », explique Bruno Lepoivre, directeur adjoint du marché de l’agriculture et de la prévention de Pacifica au Crédit Agricole. Les assureurs ont donc développé, avec Airbus, un indice de production des prairies (IPP), basé sur des images satellites, et « mesurant les variations de pousse de l’herbe de façon régulière, homogène sur tout le territoire et comparable, avec un historique remontant à l’an 2000 », souligne Bruno Lepoivre. Déjà utilisé par quelques assureurs, ce système indiciel est devenu la norme au 1er janvier 2023. Désormais, tous les éleveurs peuvent être couverts sur la base de cet indice, mais à des niveaux d’indemnisation différents : soit auprès d’un assureur privé (qui couvre 100 % de la perte au-delà de la franchise choisie), soit sous le régime public (45 % au-delà de la franchise fixée à 30 %). La sécheresse de l’été 2022 est toutefois venue ébranler la confiance des éleveurs envers l’IPP. « Les satellites d’Airbus ont bien vu la sécheresse estivale, mais la carte finale, reflétant la production cumulée du 1er février au 31 octobre 2022, montre une année plutôt favorable pour tout le Grand Ouest, à rebours du ressenti des éleveurs sur le terrain », relate Jérôme Pavie, responsable du service Fourrages et pastoralisme à l’Institut de l’Élevage (Idele). « Un audit d’Airbus a montré qu’il n’y avait pas eu de défaillance technique, rapporte de son côté Bruno Lepoivre. Il y a, selon nous, trois explications : premièrement, l’IPP mesure un cumul de production et non la seule production estivale ; deuxièmement, il mesure la pousse de l’herbe et non sa récolte ; enfin, la production est comparée à la moyenne des cinq dernières années, une référence qui baisse depuis plusieurs années. » Pour l’actuaire associé IA Martial Phélippé-Guinvarc’h, il est normal qu’un indice présente des erreurs. « La santé d’une plante dépend d’un ensemble de paramètres, dont certains échappent aux satellites : qualité du sol, réserves en eau… D’autres sont connus, mais complexes à intégrer dans ce type de modèle, comme l’altitude, l’environnement paysager ou l’exposition de la parcelle. Dans la profession, l’erreur de modèle est acceptée, car elle est faible par rapport au risque à assurer et que l’usage d’un indice permet de réduire très significativement les coûts de gestion », explique ce maître de conférences à Le Mans Université. Les éleveurs demandaient à disposer d’un système de recours basé sur un réseau de fermes de référence. Une conciliation difficile ? « En cumulant les deux, on cumule les défauts, les erreurs de l’indice et le surcoût de gestion pour un dispositif de terrain », souligne l’actuaire. Le projet de décret publié mi-février 2022 a tranché : il n’y aura pas de contre-expertise sur la base d’un réseau de fermes, mais celui-ci pourra servir en cas de « nombreuses demandes de réévaluation ».